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L’homme est un insectivore qui s’ignore

Comment cela ? Un banal steak de bœuf vous huile les papilles plus gras qu’une louchée de juteux et frétillants vers de farine ? Le manchon tout nu de la côtelette de porc vous aguiche davantage que le tarse velu d’une svelte patte de sauterelle ?Mich-Hrzn149 Insectes web Grignoter des insectes au repas, voilà pourtant une idée qui, à défaut de faire saliver, hume bon la nouveauté, la rupture avec le vieux monde… Et bien non. Pan sur le bec ! L’entomophagie n’a rien de neuf ni de jeune en soi. Cette pratique existe encore dans plusieurs zones du globe. Longtemps les insectes ont nourri les humains dans les régions les plus pauvres du monde. Une ressource gratuite offerte à la cueillette, une friandise inscrite aux répertoires culinaires des cultures tout autant qu’un moyen de subsistance. Délaissée, elle se range peu à peu à la table du folklore des peuples qui la servent volontiers aux étrangers en appétit d’exotisme. Avec le temps, le dégoût occidental de l’insecte a répandu presque partout son aversion : picorer la vermine n’est plus guère de bon goût au quotidien. Boulotter la chenille reste une incongruité transgressive héritée d’un très lointain passé, un rebut du vieux, du très vieux monde nous révèle une étude récente de l’Université de Californie à Berkeley conduite en collaboration avec le CNRS et l’Université de Montpellier. Oui nos ancêtres à tous craquaient à mort pour le criquet, sifflaient à tire-larigot de la fourmi à l’apéro et s’enfilaient goulûment de gros vers blancs au dessert sans trop se demander si c’était mieux pour la planète. Mais à l’époque, ils avaient drôle d’allure : petits, entre la musaraigne et le blaireau, griffus, avec des yeux voyant gris car surtout nocturnes, peu variés quant à leurs formes. Une dégaine à se mettre à table à la simple vue d’une colonie de gendarmes ! Ces créatures chétives et poilues, aux dents ridicules, les primo mammifères placentaires, erraient discrètement entre les pattes des dinosaures lorsqu’ils régnaient en maîtres sur le monde, il y a plus de 66 millions d’années. Les insectes, proies négligeables pour les géants d’alors, étaient la principale nourriture d’une majeure partie de ces êtres insignifiants toujours prêts à épingler la moindre punaise dans leur gosier. Comment les chercheurs l’ont-ils découvert ? En analysant les génomes de 107 espèces différentes de mammifères actuels. Prenez une vache, un chat, un chien et vous-mêmes. Tous possèdent des reliquats de gènes impliqués dans la synthèse d’enzymes permettant de digérer les insectes, notamment la chitine qui les constitue en partie. Les chercheurs ont observé que même des bestioles qui, pour se nourrir, ne feraient jamais de mal à une mouche comme le tigre ou le cheval, ont encore des bribes de ces gènes. Cinq gènes différents ont été trouvés. Ils existent aussi chez nombre de bactéries. L’un d’eux est actif chez les humains et les souris, ce qui permet à ces deux compères mammaliens d’inclure les insectes pour partie dans leur diète. L’humanité recèle en outre des fragments de trois autres gènes mais aucun ne fonctionne. Plus un animal consomme d’insectes, plus il possède de gènes de chitinases actifs, montrent ces recherches. Certaines espèces en conservent quatre voire les cinq en activité ; elles sont toutes insectivores à 80 ou 100 %. Véritables aspirateurs à fourmis ou à termites, l’oryctérope du Cap, ou « cochon de terre » d’Afrique du Sud, Elephantulus rufescens, genre de rat à trompe africain, le Toupaye de Belanger, sorte d’écureuil nichant dans le Sud-Est asiatique, le tamandua, un petit fourmilier, comme certains tatous centre et sud-américains, et même le tarsier des Philippines, le plus minuscule des primates au monde, appartiennent à cette gent parfaitement outillée. Mammifères discrets et modestes en tailles, ils témoignent de l’allure de nos plus lointains ancêtres. Avant la grande divergence. Les dinosaures disparus, certains vont se lancer au grand jour, à vivre d’herbes, de fruits ou de chair fraîche, dans les dix millions d’années suivant la massive extinction comme l’attestent leurs dents fossiles. Les corps deviendront géants, les besoins énormes, l’activité pour se sustenter fébrile, jusqu’à l’apothéose de l’humain au travail à l’aube de l’ère industrielle. Des noctambules mangeurs d’insectes, nous avons hérité aussi l’assez bonne vision nocturne, l’ouïe et l’odorat sensibles quoique d’autres cousins quadrupèdes excellent bien davantage. Les parents des primates auraient été parmi les premiers à tenter la vie au grand soleil. Pour cela peut-être, les singes et nous percevons bien mieux les couleurs que la vache, le cochon et les autres mammifères, mais moins bien les odeurs et sons. La vie nocturne à sucer des vers est loin derrière nous. Certains bipèdes urbains ont certes la nuit blanche facile et grande faculté à prendre la mouche une fois sirotés quelques verres. Au risque de bifurquer vers l’entomophagie ? D’autres l’ont fait. Le pangolin, avaleur de termites notoire, n’est guère mieux bâti que l’humain sur le plan génétique pour digérer ses proies croustillantes. Dieu sait pourquoi, ses ancêtres carnivores ont un jour pris l’évolution à rebours. Mouvement circulaire qui fait revenir à son point d’origine, tel est, il est vrai, le sens premier du mot « révolution ». 

Dominique Martin

Juillet 2018

Soif et ivresse nos plus anciennes et fidèles compagnes

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La beuverie, fidèle compagne du dimanche et de combien de nos fêtes chrétiennes ou laïques, l’ivresse puisée dans l’alcool où flotte notre cervelle parfois si lourde à porter, bref la soûlerie est aussi vieille que notre espèce, voire davantage. De récentes découvertes le confirment. La toute dernière situe le berceau du vin en Géorgie il y a huit mille ans au moins. Une équipe internationale d’archéologues emmenée par l’université de Toronto comprenant des chercheurs géorgiens, canadiens, italiens et de l’Inra en France vient de repousser d’un millénaire environ la pratique de vinification du raisin. Elle a conduit des fouilles sur deux sites du Néolithique ancien, Gadachrili Gora et Shulaveris Gora, à environ cinquante kilomètres au sud de Tbilissi la capitale de la Géorgie. L’analyse de substances retrouvées dans huit jarres mises au jour révèle la présence d’acide tartrique, résidu chimique du raisin et du vin, ainsi que trois autres acides typiques : malique, succinique et citrique. Auparavant, la plus ancienne preuve matérielle provenait des monts Zagros en Iran. Elle datait de cinq mille ans avant que le Christ ne sanctifie la païenne boisson. Le vin et son art seraient un élément central du mode de vie néolithique qui s’est répandu dans le Caucase puis en Irak, en Syrie, en Turquie, dans tout le Croissant Fertile qui a vu la naissance de l’agriculture. La poterie, essentielle à la vinification, a été inventée à cette période. Voilà qui corrobore le récit biblique de la première cuite et de ses conséquences désastreuses, celle de Noé, dont l’arche se serait échouée tout près, sur le mont Ararat à la lisière de la Transcaucasie. Après la grande épopée du déluge, Noé est seul survivant avec sa femme, ses trois fils et leurs compagnes. Il commence à cultiver la terre mais aussi plante la première vigne, en récolte le vin, qu’il boit plus que de raison. Son fils Cham le surprend ivre mort et nu. Furibond, le patriarche condamne à l’esclavage toute sa descendance, soit un tiers de l’humanité. Le saint livre insinue à sa façon que, depuis les origines, le vin et ses effets concourent aux destinées humaines. Plus tard, il narre une autre péripétie vinique : Loth, le frère d’Abraham devenu veuf et SDF, est entrainé par ses deux filles dans une caverne où elles l’enivrent et le violent afin qu’il engendre en elles son illustre descendance. Ce que ne disent ni les archéologues ni les Ecritures, est que l’ivresse serait bien plus ancienne encore. Elle aurait précédé, et de beaucoup, le vin biblique ou les boissons païennes fermentées à base de grain, de miel ou de sève de palmier. Elle serait même antérieure à l’émergence de notre espèce. Elle aurait participé activement à l’évolution qui lui a donné naissance selon les recherches du généticien Matthew Carrigan du Santa Fe College à Gainesville, en Floride. Lui et son équipe ont découvert qu’une mutation survenue chez l’ancêtre africain des humains et des grands singes lui a permis de métaboliser l’éthanol quarante fois plus rapidement. Comme les orangs outangs actuels, nos lointains aïeux vivaient dans les arbres. Ils se nourrissaient de fruits plus ou moins mûrs et de feuilles. Chez eux, le gène dit ADH4 codant pour l’alcool deshydrogénase 4 leur permettait de décomposer divers alcools nocifs présents dans les végétaux comme le géraniol aux effets anti-appétant. Mais pas l’éthanol, substance encore peu répandue dans les campagnes à cette époque fort reculée. Il y a une dizaine de millions d’années, une mutation de ce gène serait intervenue chez notre dernier ancêtre commun avec les chimpanzés et les gorilles. L’époque où il s’est mis à explorer le sol, en quête notamment de fruits tombés à terre. Ces derniers étant souvent fermentés par les levures, la mutation aurait permis d’accéder à des calories indisponibles jusque-là tout en limitant les effets dévastateurs. L’alcool est une toxine qui tant qu’elle n’est pas dégradée, altère le jugement, facilite les chutes et la tâche des carnassiers à l’affût. Grâce à ce bond évolutif, nous aurions pris peu à peu goût à ce don du ciel jusqu’à l’ivresse, un comportement quasi universel parmi les humains, observé également chez les chimpanzés vivant à leur contact. L’aye-aye, ce curieux primate nocturne des forêts de Madagascar issu d’une branche séparée très tôt dans l’arbre de l’évolution, aurait curieusement acquis une mutation et un penchant similaires. Donc, si l’alcool a fait l’humanité pour qu’un jour elle invente le vin, miracle dont nos cousins sont demeurés incapables jusqu’ici, la modération voire l’abstinence semblent une invention très moderne, propagée avec plus ou moins de succès par les saints livres et saines prescriptions. « Notre trésor ? Le vin. Notre palais ? La taverne. Nos compagnes fidèles ? La soif et l’ivresse. » Peu après l’an mille, en terre d’Islam (l’actuelle Iran), c’est ainsi que le persan Omar Khayyam, à la fois astronome, mathématicien, philosophe et poète louait le jus de la treille et ses effets euphorisants dont visiblement il savait tout : « Nous ignorons l’inquiétude, car nous savons que nos âmes, nos cœurs, nos coupes et nos robes maculées n’ont rien à craindre de la poussière, de l’eau et du feu. »

Dominique Martin

Janvier 2018