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Steak in vitro ou tartare d’insectes lequel est le plus dégoûtant?

Le boeuf éprouvette n’est point encore en nos assiettes que sa place est garantie pour sûr dans le menu best-of du futur. Mi-novembre, l’administration américaine a livré sa doctrine: inutile de pondre de nouvelles lois ou règlements, la viande issue de cultures cellulaires pourra être commercialisée outre-Atlantique sans encombres ni contraintes spécifiques. Tout est prêt pour le grand débarquement censé libérer la gent animale de l’abattage et soulager les épicuriens de lui faire outrage. Depuis l’exploit en 2013 des chercheurs de l’université de Maastricht, auteurs du premier burger créé en laboratoire, la viande née, élevée in vitro et jamais abattue est une sorte de Saint-Graal poursuivi par une chevauchée de starts-ups du monde entier avec force soutiens financiers. Ainsi l’entreprise américaine Memphis Meats est-elle patronnée par le fondateur de Microsoft, celui de Virgin et un ancien pdg de General Motors, rien que ça. Pionnière dans cette quête de la chair artificielle, elle est suivie par Mosa Meat aux Pays-Bas,
Aleph Farms ainsi que Future Meat Technologies en Israël et d’autres. En France, l’Inra estime que le bidouillage technologique consistant à prélever
des cellules animales puis à les cultiver en dehors de leurs hôtes n’est pas très compliqué, mais il reste pour l’heure beaucoup trop coûteux. Par
ailleurs, cette pseudo viande «élevée» avec moult artifices (sérum foetal de veau, hormones, antibiotiques, etc.) serait difficile à avaler pour le
consommateur. Cependant, de nouvelles recherches britanniques montrent que le dégoût supposé est tout relatif. A Cambridge, des chercheurs de
l’Anglia Ruskin University ont demandé à cent trente-neuf sujets de sa Majesté leurs préférences si d’aventure ils renonçaient à la tentation d’une
belle entrecôte nourrie à l’herbe: chair cultivée en laboratoire, insectes comestibles ou substituts végétaux. Les vers, grillons et autres termites
sont souvent présentés comme une alternative crédible et acceptable aux protéines carnées ou de poissons. Selon l’étude, il n’en est rien. Seulement
un quart des personnes interrogées pourraient consommer des insectes comestibles. Quatre sur dix en revanche se disent prêtes à adopter la
viande de laboratoire. Cette option est la plus populaire chez celles et ceux qui mangent régulièrement de la viande: Six personnes sur dix fortement
attachées à la viande seraient aux anges de se convertir au hamburger in vitro. Les mangeurs déjà détachés de la viande sont seulement seize
pourcent à être tentés de revenir vers cet ersatz et moins de un sur vingt se ferait plaisir avec des insectes. Parmi ces végans, végétariens, et autres
flexitariens la solution privilégiée sont les substituts végétaux. Pour tous, l’image des insectes est plus dégoûtante que celle de la viande artificielle…
terme qui certes n’évoque rien de palpable alors que le vers de terre ou de la pomme, pour naturels qu’ils soient, sont bien plus suggestifs. Au final, les
substituts à base de plantes donnent lieu au plus large consensus s’il fallait se passer de viande. On n’en est pas là en France. L’actualité montre que
la préoccupation majeure de ce côté-ci de la Manche reste de gagner son bifteck, pas de le remplacer.

Dominique Martin

Janvier 2019

L’homme est un insectivore qui s’ignore

Comment cela ? Un banal steak de bœuf vous huile les papilles plus gras qu’une louchée de juteux et frétillants vers de farine ? Le manchon tout nu de la côtelette de porc vous aguiche davantage que le tarse velu d’une svelte patte de sauterelle ?Mich-Hrzn149 Insectes web Grignoter des insectes au repas, voilà pourtant une idée qui, à défaut de faire saliver, hume bon la nouveauté, la rupture avec le vieux monde… Et bien non. Pan sur le bec ! L’entomophagie n’a rien de neuf ni de jeune en soi. Cette pratique existe encore dans plusieurs zones du globe. Longtemps les insectes ont nourri les humains dans les régions les plus pauvres du monde. Une ressource gratuite offerte à la cueillette, une friandise inscrite aux répertoires culinaires des cultures tout autant qu’un moyen de subsistance. Délaissée, elle se range peu à peu à la table du folklore des peuples qui la servent volontiers aux étrangers en appétit d’exotisme. Avec le temps, le dégoût occidental de l’insecte a répandu presque partout son aversion : picorer la vermine n’est plus guère de bon goût au quotidien. Boulotter la chenille reste une incongruité transgressive héritée d’un très lointain passé, un rebut du vieux, du très vieux monde nous révèle une étude récente de l’Université de Californie à Berkeley conduite en collaboration avec le CNRS et l’Université de Montpellier. Oui nos ancêtres à tous craquaient à mort pour le criquet, sifflaient à tire-larigot de la fourmi à l’apéro et s’enfilaient goulûment de gros vers blancs au dessert sans trop se demander si c’était mieux pour la planète. Mais à l’époque, ils avaient drôle d’allure : petits, entre la musaraigne et le blaireau, griffus, avec des yeux voyant gris car surtout nocturnes, peu variés quant à leurs formes. Une dégaine à se mettre à table à la simple vue d’une colonie de gendarmes ! Ces créatures chétives et poilues, aux dents ridicules, les primo mammifères placentaires, erraient discrètement entre les pattes des dinosaures lorsqu’ils régnaient en maîtres sur le monde, il y a plus de 66 millions d’années. Les insectes, proies négligeables pour les géants d’alors, étaient la principale nourriture d’une majeure partie de ces êtres insignifiants toujours prêts à épingler la moindre punaise dans leur gosier. Comment les chercheurs l’ont-ils découvert ? En analysant les génomes de 107 espèces différentes de mammifères actuels. Prenez une vache, un chat, un chien et vous-mêmes. Tous possèdent des reliquats de gènes impliqués dans la synthèse d’enzymes permettant de digérer les insectes, notamment la chitine qui les constitue en partie. Les chercheurs ont observé que même des bestioles qui, pour se nourrir, ne feraient jamais de mal à une mouche comme le tigre ou le cheval, ont encore des bribes de ces gènes. Cinq gènes différents ont été trouvés. Ils existent aussi chez nombre de bactéries. L’un d’eux est actif chez les humains et les souris, ce qui permet à ces deux compères mammaliens d’inclure les insectes pour partie dans leur diète. L’humanité recèle en outre des fragments de trois autres gènes mais aucun ne fonctionne. Plus un animal consomme d’insectes, plus il possède de gènes de chitinases actifs, montrent ces recherches. Certaines espèces en conservent quatre voire les cinq en activité ; elles sont toutes insectivores à 80 ou 100 %. Véritables aspirateurs à fourmis ou à termites, l’oryctérope du Cap, ou « cochon de terre » d’Afrique du Sud, Elephantulus rufescens, genre de rat à trompe africain, le Toupaye de Belanger, sorte d’écureuil nichant dans le Sud-Est asiatique, le tamandua, un petit fourmilier, comme certains tatous centre et sud-américains, et même le tarsier des Philippines, le plus minuscule des primates au monde, appartiennent à cette gent parfaitement outillée. Mammifères discrets et modestes en tailles, ils témoignent de l’allure de nos plus lointains ancêtres. Avant la grande divergence. Les dinosaures disparus, certains vont se lancer au grand jour, à vivre d’herbes, de fruits ou de chair fraîche, dans les dix millions d’années suivant la massive extinction comme l’attestent leurs dents fossiles. Les corps deviendront géants, les besoins énormes, l’activité pour se sustenter fébrile, jusqu’à l’apothéose de l’humain au travail à l’aube de l’ère industrielle. Des noctambules mangeurs d’insectes, nous avons hérité aussi l’assez bonne vision nocturne, l’ouïe et l’odorat sensibles quoique d’autres cousins quadrupèdes excellent bien davantage. Les parents des primates auraient été parmi les premiers à tenter la vie au grand soleil. Pour cela peut-être, les singes et nous percevons bien mieux les couleurs que la vache, le cochon et les autres mammifères, mais moins bien les odeurs et sons. La vie nocturne à sucer des vers est loin derrière nous. Certains bipèdes urbains ont certes la nuit blanche facile et grande faculté à prendre la mouche une fois sirotés quelques verres. Au risque de bifurquer vers l’entomophagie ? D’autres l’ont fait. Le pangolin, avaleur de termites notoire, n’est guère mieux bâti que l’humain sur le plan génétique pour digérer ses proies croustillantes. Dieu sait pourquoi, ses ancêtres carnivores ont un jour pris l’évolution à rebours. Mouvement circulaire qui fait revenir à son point d’origine, tel est, il est vrai, le sens premier du mot « révolution ». 

Dominique Martin

Juillet 2018