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Geneviève, Hadiarra et Haoua

Des emplois et des revenus pour les femmes

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« Il y a dix ans, les femmes d’ici ne savaient pas que l’on pouvait faire et gagner quelque chose avec les fruits du Neem ou du dattier du balanites, en particulier fabriquer des savons cosmétiques. » Geneviève Soubeiga Ouédraogo compte parmi les pionnières de la valorisation des arbres à graines oléagineuses au Burkina Faso. Dès 1986, elle participe à créer la savonnerie Yam Leende de Basnéré. Elle s’investit et intègre le comité de gestion puis assiste la directrice et la remplace en 1991 suite à son décès. Aujourd’hui, elle est à la tête du GIE qui gère les activités du centre artisanal polyvalent de Basnéré. Geneviève Ouédraogo est mariée et mère de cinq enfants. Titulaire d’un CAP, sa situation n’était guère différente des autres femmes de la campagne avant de travailler à la savonnerie. Militante au sein de son groupement villageois, elle s’occupait de ses enfants, effectuait de menues activités et commerces pour améliorer le quotidien de sa famille. La savonnerie voit le jour grâce à un financement de l’Unicef. Une partie importante de la mortalité infantile est liée à un manque d’hygiène. Pauvres et sans revenu propre, nombre de femmes ne peuvent acheter du savon.

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Réunies en groupements, certaines expriment le désir de le fabriquer elles-mêmes dans le cadre de leurs activités communautaires. Pour cela, elles disposent d’une ressource locale gratuite, les noix de l’arbre karité. Ces noix tombent au sol quand elles sont mûres. Il suffit de les ramasser, d’enlever la pulpe, de les faire tremper, de les faire sécher et de les décortiquer, les piler, les torréfier les presser pour en faire une pâte puis d’en baratter le beurre à a main. Une activité ancestrale transmise de mères en filles dont les femmes tirent revenu. L’Unicef soutient le démarrage du projet pendant deux ans puis Geneviève collabore avec la cellule du Centre écologique Albert Schweitzer de Ouagadougou qui apporte son soutien. Le CEAS à Neufchâtel en Suisse devient à partir de 1996 un des clients importants du centre à l’export. Aujourd’hui le centre forme autour de deux cents femmes par an tant dans la savonnerie artisanale que les activités de teinture, couture et tissage. Geneviève et les formatrices formes les paysannes sur place ou dans les villages et les accompagnent dans le temps. Outre les emplois créés à Basnéré et les activités induites localement suite aux formations, le centre transforme aujourd’hui toute une gamme de produits de collecte de plus d’un millier de femmes : karité, neem, dattier du désert (balanites), sésame, etc. « Nous touchons ainsi des femmes de quatre provinces dont les groupements nous livrent leur production et collectes. D’autres installées à Banfora près de la Côte d’Ivoire fabriquent de petits paniers qui nous servent à emballer les savons. » De telles activités économiques renforcent la position de la femme au sein de la famille, souligne Geneviève. Mieux considérées, elles participent davantage aux prises de décision.

 

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 Le pressage des graines, actionné à la main, reste une opération longue et fastidieuse. Six pressées peuvent être réalisées par jour

 

 

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La savonnerie Yam Leende fonctionne toute l’année, six jours sur sept, explique Hadiarra Drago-Ouédraogo, 51 ans. Elle est l’une des vingt sept femmes, réparties en deux équipes, qui se relayent tous les trois jours. De cette façon, « nous sommes disponibles pour travailler au champ durant la saison des pluies ». Hadiarra est mère de six enfants et grand-mère de trois petits fils. Elle cultive du maïs des arachides et du gombo pour sa famille. En période sèche, les employées à temps partiel peuvent aussi exercer d’autres activités de petit commerce comme la vente de l’arachide. Les employées sont indemnisées mille francs CFA par jour auxquels s’ajoutent des primes lors des fêtes religieuses notamment. En fin d’année, une prime est attribuée selon les résultats : « Selon les ventes que l’on a fait, on peut donner 30 à 45 000 F à chaque employée » déclare Geneviève Ouédragogo la directrice. Les femmes récupèrent également les tourteaux de sésame pour cuisiner. Elles peuvent bénéficier de petits crédits pour leur petit commerce. Les autres tourteaux sont souvent repris par celles qui ont livré des graines. Celui du dattier peut servir à refaire du savon après chauffage. Celui du karité sert d’aliment pour le bétail ou de combustible. Celui du neem est épandu dans les champs maraîchers comme répulsif contre les chenilles.

Les formations assurées par les employées durent une à deux semaines. Les stagiaires sont initiées à la fabrication moyennant finances (2 500 à 5000 F CFA par jour). Cinquante à cent femmes sont formées tous les ans, chaque groupement envoyant une délégation de deux à quatre stagiaires. Celles-ci initient ensuite les autres femmes afin de développer leur propre activité locale de savonnerie. Un suivi payant de ces groupements est proposé. Des formations sont conduites sur place si les groupements sont déjà équipés. Les savonneries de village ne disposent toutefois pas des machines permettant de fabriquer la même qualité de produits. Il s’agit souvent de savons à lessive remarque Hadiarra. Le centre est lui bien équipé. Il produit une grande variété de savons mais aussi des huiles cosmétiques. La production était de 23 400 savons en 2012, soit 2,34 tonnes pour un chiffre d’affaires de vingt-cinq millions de francs CFA. Le pressage des graines, actionné à la main, reste une opération longue et fastidieuse. Six pressées peuvent être réalisées par jour. Les machines (boudineuse extrudeuse, presse à estamper) âgées de vingt ans arrivent en bout de course. Ce qui occasionne des pannes récurrentes et ne permet plus d’atteindre les objectifs de production voire de répondre à certaines commandes. Environ un quart de la production est exportée. La valorisation dépasse le double de celle permise par le marché local. Cependant, elle pourrait être plus élevée encore car « le transport (petites quantités par avion) coûte plus cher que la valeur de nos produits » remarque la gestionnaire de la savonnerie. Des perspectives de développement des débouchés sont envisagées au Canada, mais aussi en France où les quantités écoulées restent mineures. Le renouvellement des machines et un plan de développement sont à l’ordre du jour du plan quinquennal de la FNGN pour développer le centre de Basnéré.

 

e08_05Haoua Ouedraogo est animatrice et formatrice au centre de Basnéré. Toute la semaine, elle forme les paysannes au tissage, à la couture et à la teinture. Agricultrice et paysanne elle-même, elle est impliquée dans son groupement de femmes qu’elle fréquente assidûment le dimanche en son village de Somiaga, à 7 km de Ouahigouya. Haoua est mariée et mère de quatre enfants. Elle a quarante ans et participe à cet atelier de Basnéré depuis le démarrage de l’activité de tissage en 1986. Elle était alors âgée de treize ans. Elles sont deux parmi les quinze femmes de l’atelier à former les paysannes à la pratique et la gestion. Puis à effectuer un suivi mensuel des stagiaires dans leurs groupements. Les formations se déroulent sous forme de sessions de trois mois et concernent plus de cent femmes par an. Haoua explique que les femmes cherchent là le moyen de démarrer leur propre production qu’elles peuvent vendre sur le marché local. Mais ces dernières ne sont pas assez bien équipées pour mettre en œuvre tous les enseignements reçus. Les besoins locaux existent bel et bien. Ils sont couverts par des vêtements d’importation. A défaut, les familles doivent se rendre en ville pour faire fabriquer, ce qui complique les affaires et renchérit le prix de revient. Les formations sont gratuites pour les membres des groupements Naam. Les employées et formatrices sont rémunérées à partir de la vente des productions qu’elles réalisent au centre. L’atelier fonctionne avec des matières premières locales, jusqu’à la teinture, réalisée à l’argile. Selon Haoua, il manque une boutique de vente pour rassembler tous les produits du centre, ce qui permettrait de d’accroître l’activité de l’atelier et de prendre plus de personnel : « Des femmes ont besoin de venir travailler. Mais il nous manque des matériels. » L’activité des femmes de Basnéré manque de notoriété. Elle est connue dans la région par les habitants, mais il n’y a pas de relais de vente dans la capitale où passent tous les touristes en séjour au Burkina Faso. Haoua mène une vie de femme très active, ouverte, mais aussi très remplie. Son activité professionnelle ne la coupe pas de la vie communautaire. Caisse de solidarité, champs collectifs, célébrations des baptêmes et funérailles, etc. Outre ces activités qui lient les villageoises entre elles, Haoua s’implique aussi dans l’alphabétisation et l’animation contre l’excision ou les trafics d’enfants. Elle cultive ses champs d’arachides et de haricots, pour elle même. Elle aide son mari pour les cultures en saison pluvieuse. « On fait pour nous-mêmes et on donne un coup de main à nos familles et pour les champs collectifs. » Comme les autres employées, elle dispose d’un mois de congé chaque été, pour aller travailler au champ.

© Dominique Martin – avril 2013

Diaporama sonore à visionner

 

 

Fati Ouédraogo

« La radio nous aide à résoudre les problèmes familiaux »

ep07-03« La radio nous aide beaucoup à faire la sensibilisation sur de nombreux thèmes. » Fati Ouédraogo est l’une des trois animatrices de l’unité d’appui à la promotion de la femme de la Fédération nationale des groupements Naam à Ouahigouya, au nord du Burkina Faso. A ce titre, elle est une des voix familières de « La voix du paysan », organe émetteur de la FNGN.

Fati Ouédraogo participe à l’émission de partage de vécu avec les auditeurs « pouiyam ». Ecoutez son témoignage.

Au Yatenga, La Voix du paysan est la radio la plus écoutée dans tous les foyers privés de journaux et de télévision, soit la majeure partie de la population.Elle stimule, porte, répand les nouvelles cent kilomètres à la ronde en mooré, fulfuldé, dogon, fulsé, dioula. Fati décrit ce média comme accessible à tous, sans distinction de niveau scolaire ou de richesse. Elle le considère comme un extraordinaire démultiplicateur d’actions locales capable de révéler les témoignages singuliers au plus grand nombre.

« Quand nous organisons une causerie dans un village, la radio nous suit. Elle enregistre puis diffuse, et tout le monde est à l’écoute. » Les sujets ne manquent pas : conduite de l’allaitement maternel, prévention du VIH, violences faites aux femmes à commencer par l’excision des filles, etc. Tous les jeudis soirs de 20 h à 22h30 et lundis de 14 à 16 h, Fati participe à l’émission « pouiyam » consacrée à tous les problèmes familiaux que « les gens gardent souvent pour eux ». Les auditeurs mettent par écrit leurs problèmes et adressent leur note aux animateurs. La lettre est lue sur le plateau à l’antenne. Les invités et Fati mais aussi les auditeurs réagissent en direct « pour donner des conseils ». Sur le terrain, dans les villages, des paysans sentinelles nommés « fidèles auditeurs » sont en première ligne pour réagir, appeler, écrire. Certains auditeurs se déplacent même en mobylette jusqu’au siège de la radio pour apporter leur message, témoigne Fati. Selon elle, la « Voix du paysan » est la radio de la région la plus écoutée.

Les créneaux les plus populaires sont de 18 h à 23 heures et le matin à 5h30 dès la reprise des émissions. Le poste de radio accompagne les paysans dans leurs tâches quotidiennes. Avec l’arrivée et la diffusion des téléphones portables, les programmes ont gagné en interactivité. La radio est également une occasion de rassemblement et d’attroupement dans les villages. Fati ne manque pas d’exemples vécus illustrant combien la radio interagit dans la vie même de ses auditeurs. Tel mari, qui a suivi les conseils donnés pour un autre, vit désormais en paix dans son ménage. Telle femme, dont l’époux est polygame, vit un peu mieux sa situation depuis qu’elle est accro à la radio. Selon Fati, les plaies comme l’excision, les mariages forcés régressent grâce à la sensibilisation. » Tout a diminué, mais ce qui demeure se fait « en cachette ». La radio participe elle à lever un coin du voile.

© Dominique Martin – février 2013

 

Pour les femmes : « Le changement viendra dans le temps »

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Bibata Kindo sensibilise les femmes des villages de Koumbri aux méfaits de l’excision depuis plus de 25 ans

 

 

 

 

 

Ecoutez son témoignage

Depuis 1986, Bibata Kindo rassemble, informe, soutient les femmes des seize villages de l’union Naam de Koumbri dans la province du Yatenga, région Nord du Burkina Faso. Animatrice féminine et productrice maraîchère Bibata Kindo est mariée et mère de quatre enfants. Améliorer les conditions d’existence des femmes fait partie du combat des paysans pour faire reculer l’insécurité alimentaire, l’ignorance et améliorer la santé des populations, insiste-t-elle. Bibata énumère l’incroyable inventaire d’activités exercées par les femmes. Economiques, sociales et environnementales, elles sont partout y compris dans les instances de gestion et de décision des structures créées par les paysans. « Le bureau de notre union compte treize membres dont sept femmes. »

Pour Bibata, la santé est à la base de tout. Sans elle, rien n’est possible. Elle la considère au sens très large, social, incluant le planning familial, les mariages forcés, l’excision et autres violences faites aux femmes. « Nous mettons aussi l’accent sur l’alphabétisation. » Pierre angulaire pour bâtir et gérer toute activité. L’animatrice suscite des causeries dans les villages sur des thèmes précis. L’un d’eux l’a fortement occupée et sans doute transformée : l’excision. Elle, comme la quasi totalité des femmes du Yatenga, l’ont subie. Une marque indélébile sur leur vie de femme, pratiquée à la petite enfance par l’exciseuse du village, par petits groupes de fillettes. Tout le travail de Bibata depuis vingt cinq ans est d’en souligner très concrètement les conséquences néfastes lors de causeries. Ainsi les femmes réalisent puis témoignent entre elles de leur vécu : infections, difficultés aux accouchements, dans le couple, dans les rapports avec son mari, etc. « Le problème du sexe est difficilement exprimé par les femmes. » En marge de l’entretien, Bibata avoue qu’elle aussi a dû apprendre à libérer la parole et désigner les choses par leur nom. La pratique de l’excision persiste aujourd’hui, reconnaît-elle, mais de façon cachée. Le rythme calme de sa voix s’accélère à mesure qu’elle évoque ce sujet, comme sous l’effet d’une colère rentrée. Les croyances sont tenaces. « Nos mères, grand mères et soeurs croient qu’il faut être excisée pour être digne. » Tant que les femmes non excisées restent minoritaires, elles sont gênées de l’afficher. Mais un jour elles seront la majorité : « Le changement va venir dans le temps », Bibata en est sûre. Les enfants en parlent à l’école. « Au début personne n’osait trop en parler avec eux. Maintenant nous sommes obligés de le faire. » Avec le planning familial aussi, pour espacer les naissances, « au début c’était très difficile. Les femmes craignaient qu’avec la contraception elles ne pourraient plus avoir d’enfant.». Maintenant il devenu pratique courante. En plus de la santé, l’animatrice appuie les femmes pour identifier les activités économiques qu’elles peuvent exercer et pour accéder au crédit. Cela passe par de la formation, souligne-t-elle, « afin de ne pas mettre en faillite la banque que nous avons nous-mêmes contribué à créer ».

De nouveaux problèmes ont surgi. Le changement climatique : « Nous pensions qu’il était derrière nous. » Il semblerait que, depuis la fin des années 2000, le régime des pluies soit devenu encore plus irrégulier. Les femmes sont concernées au premier plan car ce sont elles qui doivent aller puiser l’eau pour la famille. Les problèmes de santé s’amplifieraient. En cause, les sites aurifères. « Comme il n’a pas plu l’an dernier, même les femmes et les enfants sont allés là bas. » Ces sites deviendraient des foyers de développement de nombreuses maladies sexuellement transmissibles, du sida en particulier, ou d’autres liées à la poussière. « Et un lieu où il y a la drogue pour nos jeunes. »

Bibata soupire : « Il y a tellement de problèmes ». Son credo est désormais de ne plus travailler seulement avec les femmes mais avec les ménages. « Quand il n’y a pas d’entente dans le couple, on ne peut rien faire. » Complémentarité et solidarité, voilà ce qui manque encore aux hommes et aux femmes pour s’entendre. « Comment pouvons-nous développer nos communes et notre pays, si moi et mon mari nous ne pouvons pas nous asseoir pour discuter de toutes les choses de la famille. » Structures, projets individuels et collectifs, activités et jusqu’aux partenaires financiers, l’environnement des familles paysannes favorise plutôt la séparation que la collaboration. « On ne peut pas parler de développement sans entreprise familiale. C’est  la priorité. »

© Dominique Martin – février 2013