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Geneviève, Hadiarra et Haoua

Des emplois et des revenus pour les femmes

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« Il y a dix ans, les femmes d’ici ne savaient pas que l’on pouvait faire et gagner quelque chose avec les fruits du Neem ou du dattier du balanites, en particulier fabriquer des savons cosmétiques. » Geneviève Soubeiga Ouédraogo compte parmi les pionnières de la valorisation des arbres à graines oléagineuses au Burkina Faso. Dès 1986, elle participe à créer la savonnerie Yam Leende de Basnéré. Elle s’investit et intègre le comité de gestion puis assiste la directrice et la remplace en 1991 suite à son décès. Aujourd’hui, elle est à la tête du GIE qui gère les activités du centre artisanal polyvalent de Basnéré. Geneviève Ouédraogo est mariée et mère de cinq enfants. Titulaire d’un CAP, sa situation n’était guère différente des autres femmes de la campagne avant de travailler à la savonnerie. Militante au sein de son groupement villageois, elle s’occupait de ses enfants, effectuait de menues activités et commerces pour améliorer le quotidien de sa famille. La savonnerie voit le jour grâce à un financement de l’Unicef. Une partie importante de la mortalité infantile est liée à un manque d’hygiène. Pauvres et sans revenu propre, nombre de femmes ne peuvent acheter du savon.

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Réunies en groupements, certaines expriment le désir de le fabriquer elles-mêmes dans le cadre de leurs activités communautaires. Pour cela, elles disposent d’une ressource locale gratuite, les noix de l’arbre karité. Ces noix tombent au sol quand elles sont mûres. Il suffit de les ramasser, d’enlever la pulpe, de les faire tremper, de les faire sécher et de les décortiquer, les piler, les torréfier les presser pour en faire une pâte puis d’en baratter le beurre à a main. Une activité ancestrale transmise de mères en filles dont les femmes tirent revenu. L’Unicef soutient le démarrage du projet pendant deux ans puis Geneviève collabore avec la cellule du Centre écologique Albert Schweitzer de Ouagadougou qui apporte son soutien. Le CEAS à Neufchâtel en Suisse devient à partir de 1996 un des clients importants du centre à l’export. Aujourd’hui le centre forme autour de deux cents femmes par an tant dans la savonnerie artisanale que les activités de teinture, couture et tissage. Geneviève et les formatrices formes les paysannes sur place ou dans les villages et les accompagnent dans le temps. Outre les emplois créés à Basnéré et les activités induites localement suite aux formations, le centre transforme aujourd’hui toute une gamme de produits de collecte de plus d’un millier de femmes : karité, neem, dattier du désert (balanites), sésame, etc. « Nous touchons ainsi des femmes de quatre provinces dont les groupements nous livrent leur production et collectes. D’autres installées à Banfora près de la Côte d’Ivoire fabriquent de petits paniers qui nous servent à emballer les savons. » De telles activités économiques renforcent la position de la femme au sein de la famille, souligne Geneviève. Mieux considérées, elles participent davantage aux prises de décision.

 

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 Le pressage des graines, actionné à la main, reste une opération longue et fastidieuse. Six pressées peuvent être réalisées par jour

 

 

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La savonnerie Yam Leende fonctionne toute l’année, six jours sur sept, explique Hadiarra Drago-Ouédraogo, 51 ans. Elle est l’une des vingt sept femmes, réparties en deux équipes, qui se relayent tous les trois jours. De cette façon, « nous sommes disponibles pour travailler au champ durant la saison des pluies ». Hadiarra est mère de six enfants et grand-mère de trois petits fils. Elle cultive du maïs des arachides et du gombo pour sa famille. En période sèche, les employées à temps partiel peuvent aussi exercer d’autres activités de petit commerce comme la vente de l’arachide. Les employées sont indemnisées mille francs CFA par jour auxquels s’ajoutent des primes lors des fêtes religieuses notamment. En fin d’année, une prime est attribuée selon les résultats : « Selon les ventes que l’on a fait, on peut donner 30 à 45 000 F à chaque employée » déclare Geneviève Ouédragogo la directrice. Les femmes récupèrent également les tourteaux de sésame pour cuisiner. Elles peuvent bénéficier de petits crédits pour leur petit commerce. Les autres tourteaux sont souvent repris par celles qui ont livré des graines. Celui du dattier peut servir à refaire du savon après chauffage. Celui du karité sert d’aliment pour le bétail ou de combustible. Celui du neem est épandu dans les champs maraîchers comme répulsif contre les chenilles.

Les formations assurées par les employées durent une à deux semaines. Les stagiaires sont initiées à la fabrication moyennant finances (2 500 à 5000 F CFA par jour). Cinquante à cent femmes sont formées tous les ans, chaque groupement envoyant une délégation de deux à quatre stagiaires. Celles-ci initient ensuite les autres femmes afin de développer leur propre activité locale de savonnerie. Un suivi payant de ces groupements est proposé. Des formations sont conduites sur place si les groupements sont déjà équipés. Les savonneries de village ne disposent toutefois pas des machines permettant de fabriquer la même qualité de produits. Il s’agit souvent de savons à lessive remarque Hadiarra. Le centre est lui bien équipé. Il produit une grande variété de savons mais aussi des huiles cosmétiques. La production était de 23 400 savons en 2012, soit 2,34 tonnes pour un chiffre d’affaires de vingt-cinq millions de francs CFA. Le pressage des graines, actionné à la main, reste une opération longue et fastidieuse. Six pressées peuvent être réalisées par jour. Les machines (boudineuse extrudeuse, presse à estamper) âgées de vingt ans arrivent en bout de course. Ce qui occasionne des pannes récurrentes et ne permet plus d’atteindre les objectifs de production voire de répondre à certaines commandes. Environ un quart de la production est exportée. La valorisation dépasse le double de celle permise par le marché local. Cependant, elle pourrait être plus élevée encore car « le transport (petites quantités par avion) coûte plus cher que la valeur de nos produits » remarque la gestionnaire de la savonnerie. Des perspectives de développement des débouchés sont envisagées au Canada, mais aussi en France où les quantités écoulées restent mineures. Le renouvellement des machines et un plan de développement sont à l’ordre du jour du plan quinquennal de la FNGN pour développer le centre de Basnéré.

 

e08_05Haoua Ouedraogo est animatrice et formatrice au centre de Basnéré. Toute la semaine, elle forme les paysannes au tissage, à la couture et à la teinture. Agricultrice et paysanne elle-même, elle est impliquée dans son groupement de femmes qu’elle fréquente assidûment le dimanche en son village de Somiaga, à 7 km de Ouahigouya. Haoua est mariée et mère de quatre enfants. Elle a quarante ans et participe à cet atelier de Basnéré depuis le démarrage de l’activité de tissage en 1986. Elle était alors âgée de treize ans. Elles sont deux parmi les quinze femmes de l’atelier à former les paysannes à la pratique et la gestion. Puis à effectuer un suivi mensuel des stagiaires dans leurs groupements. Les formations se déroulent sous forme de sessions de trois mois et concernent plus de cent femmes par an. Haoua explique que les femmes cherchent là le moyen de démarrer leur propre production qu’elles peuvent vendre sur le marché local. Mais ces dernières ne sont pas assez bien équipées pour mettre en œuvre tous les enseignements reçus. Les besoins locaux existent bel et bien. Ils sont couverts par des vêtements d’importation. A défaut, les familles doivent se rendre en ville pour faire fabriquer, ce qui complique les affaires et renchérit le prix de revient. Les formations sont gratuites pour les membres des groupements Naam. Les employées et formatrices sont rémunérées à partir de la vente des productions qu’elles réalisent au centre. L’atelier fonctionne avec des matières premières locales, jusqu’à la teinture, réalisée à l’argile. Selon Haoua, il manque une boutique de vente pour rassembler tous les produits du centre, ce qui permettrait de d’accroître l’activité de l’atelier et de prendre plus de personnel : « Des femmes ont besoin de venir travailler. Mais il nous manque des matériels. » L’activité des femmes de Basnéré manque de notoriété. Elle est connue dans la région par les habitants, mais il n’y a pas de relais de vente dans la capitale où passent tous les touristes en séjour au Burkina Faso. Haoua mène une vie de femme très active, ouverte, mais aussi très remplie. Son activité professionnelle ne la coupe pas de la vie communautaire. Caisse de solidarité, champs collectifs, célébrations des baptêmes et funérailles, etc. Outre ces activités qui lient les villageoises entre elles, Haoua s’implique aussi dans l’alphabétisation et l’animation contre l’excision ou les trafics d’enfants. Elle cultive ses champs d’arachides et de haricots, pour elle même. Elle aide son mari pour les cultures en saison pluvieuse. « On fait pour nous-mêmes et on donne un coup de main à nos familles et pour les champs collectifs. » Comme les autres employées, elle dispose d’un mois de congé chaque été, pour aller travailler au champ.

© Dominique Martin – avril 2013

Diaporama sonore à visionner

 

 

Fati Ouédraogo

« La radio nous aide à résoudre les problèmes familiaux »

ep07-03« La radio nous aide beaucoup à faire la sensibilisation sur de nombreux thèmes. » Fati Ouédraogo est l’une des trois animatrices de l’unité d’appui à la promotion de la femme de la Fédération nationale des groupements Naam à Ouahigouya, au nord du Burkina Faso. A ce titre, elle est une des voix familières de « La voix du paysan », organe émetteur de la FNGN.

Fati Ouédraogo participe à l’émission de partage de vécu avec les auditeurs « pouiyam ». Ecoutez son témoignage.

Au Yatenga, La Voix du paysan est la radio la plus écoutée dans tous les foyers privés de journaux et de télévision, soit la majeure partie de la population.Elle stimule, porte, répand les nouvelles cent kilomètres à la ronde en mooré, fulfuldé, dogon, fulsé, dioula. Fati décrit ce média comme accessible à tous, sans distinction de niveau scolaire ou de richesse. Elle le considère comme un extraordinaire démultiplicateur d’actions locales capable de révéler les témoignages singuliers au plus grand nombre.

« Quand nous organisons une causerie dans un village, la radio nous suit. Elle enregistre puis diffuse, et tout le monde est à l’écoute. » Les sujets ne manquent pas : conduite de l’allaitement maternel, prévention du VIH, violences faites aux femmes à commencer par l’excision des filles, etc. Tous les jeudis soirs de 20 h à 22h30 et lundis de 14 à 16 h, Fati participe à l’émission « pouiyam » consacrée à tous les problèmes familiaux que « les gens gardent souvent pour eux ». Les auditeurs mettent par écrit leurs problèmes et adressent leur note aux animateurs. La lettre est lue sur le plateau à l’antenne. Les invités et Fati mais aussi les auditeurs réagissent en direct « pour donner des conseils ». Sur le terrain, dans les villages, des paysans sentinelles nommés « fidèles auditeurs » sont en première ligne pour réagir, appeler, écrire. Certains auditeurs se déplacent même en mobylette jusqu’au siège de la radio pour apporter leur message, témoigne Fati. Selon elle, la « Voix du paysan » est la radio de la région la plus écoutée.

Les créneaux les plus populaires sont de 18 h à 23 heures et le matin à 5h30 dès la reprise des émissions. Le poste de radio accompagne les paysans dans leurs tâches quotidiennes. Avec l’arrivée et la diffusion des téléphones portables, les programmes ont gagné en interactivité. La radio est également une occasion de rassemblement et d’attroupement dans les villages. Fati ne manque pas d’exemples vécus illustrant combien la radio interagit dans la vie même de ses auditeurs. Tel mari, qui a suivi les conseils donnés pour un autre, vit désormais en paix dans son ménage. Telle femme, dont l’époux est polygame, vit un peu mieux sa situation depuis qu’elle est accro à la radio. Selon Fati, les plaies comme l’excision, les mariages forcés régressent grâce à la sensibilisation. » Tout a diminué, mais ce qui demeure se fait « en cachette ». La radio participe elle à lever un coin du voile.

© Dominique Martin – février 2013

 

“La pomme de terre nous a fait sortir de la pauvreté”

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Au soleil de midi, ils sont cinq pour le repiquage des oignons. Le vieux père, les deux garçons, une fille plus jeune et lui, Tasséré Maïga, le chef de famille. Le petit périmètre maraîcher se trouve à deux pas de leur village de Rimassa. « Nous sommes six à vivre et travailler ici. Je n’ai pas d’employé. Quand on gagne c’est avec ma famille seulement. Comme cela, il n’y pas de difficultés à payer des employés ou leurs médicaments s’ils sont malades. On gagne même les années où cela ne donne pas beaucoup. » Le terrain, Tasséré l’a reçu de son grand-père. Il y a plus de trente ans, l’aïeul avait quitté Titao, le chef-lieu de la province situé à dix kilomètres environ. Il était venu s’installer dans ce coin désert. Le village n’existait pas encore. L’eau, il fallait la puiser à dix-sept mètres de profondeur. Le puits du grand-père est toujours là, montre son petit-fils. L’ouvrage fut cuvelé avec la roche ferrugineuse locale qui croûte en surface de la latérite rouge. Ces temps sont loin et ce petit coin de Sahel a bien changé.

 Tasséré en est lui à son dixième puits. Deux seuls sont encore en usage. « Les autres se sont éboulés. Car c’est tout inondé ici l’hiver. En novembre, il y avait bien un mètre d’eau sur le périmètre. » Depuis la bourgade de Titao, sur une quinzaine de kilomètres, s’étend un lac provisoire. L’ancien bas-fond est encadré par deux digues. Durant la courte saison des pluies, de mai à octobre, il se remplit des averses parfois diluviennes. Ces pluies, quand elles abondent, sont du pain béni pour les récoltes de mil et de sorgho des paysans qui se déroulent en novembre. Les cultures sèches de céréales sont la base de l’alimentation des populations locales. L’an dernier il a bien plu. En revanche, 2011 fut une année de vache maigre pour les greniers familiaux. L’oignon, les choux, la tomate que Tasséré cultive, sont des cultures de contre-saison et de vente. En cette fin janvier, plus rien ne pousse dans la poussière de ses champs alentour, hormis les arbres secs de la savane arborée. Ici au pied du bas fond ennoyé, il suffit de creuser un peu pour atteindre la nappe d’infiltration. Le paysan a juste à puiser dans une manne qui semble inépuisable. Cette année, il a bien sept mètres sous le pied. C’est même un peu trop. Il a fallu attendre un mois de plus que les eaux se retirent avant d’attaquer les cultures. Ce petit retard n’est pas le pire des aléas.

Pour vendre ses légumes, Tasséré est livré à lui-même, et aux commerçants. Avec le développement des périmètres, ils affluent jusqu’au bord des champs. Certains camions arrivent de la capitale après trois heures et demi de route puis de piste. D’autres viennent de bien plus loin du Ghana ou du Togo, à plusieurs milliers de kilomètres au Sud. « On vend plus facilement aujourd’hui » estime le maraîcher. Mais rien n’est gagné d’avance. Ni le prix, ni même l’assurance de vendre. Tasséré vient d’en vivre la cuisante expérience. De longue date, il cultive des semences d’oignons pour le marché local. Pour les quarante kilos récoltés l’an dernier, il n’a pas réussi à trouver d’acheteurs. Le commerce n’est pas la seule chose qui lui échappe. La divagation du bétail est une autre menace. Une piste à zébus longe le périmètre de la famille. Les bovins en liberté l’empruntent pour s’abreuver dans le bas-fond. Tasséré a planté une clôture de troncs d’arbres et de grillage tout le long. Mais celle-ci n’entoure pas entièrement sa parcelle. La nuit dernière à vingt deux heures, il a encore surpris un animal, en train de piétiner ses oignons.

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Les plants d’oignons prélevés dans la pépinière avant le repiquage 

Le maraîcher connaît bien son métier. Enfant, il arrosait déjà à la cuvette derrière son père sur le périmètre familial. Installé à son compte, il a développé petit à petit. Le vrai progrès, il le doit à une culture bien particulière, quasi inconnue ici il y a vingt ans. « C’est la pomme de terre qui nous a fait sortir de la pauvreté. Avec elle, la vie de la famille s’est améliorée. Avant, quand j’ai commencé, je n’avais même pas une charrette. » Sa première récolte vendue, il a pu acheter cet outil de transport indispensable auquel on attelle un âne. « Avec la deuxième récolte, j’ai pu gagner une paire de bœufs. Puis en 2011 une moto. Et l’an dernier une motopompe. » La famille de Tasséré s’est constitué aussi un petit cheptel de moutons. Ce petit monde fournit du fumier qui, une fois composté, nourrit la pomme de terre : « La production est meilleure qu’avec de l’engrais. » La motopompe est un gage d’avenir : « Aujourd’hui avec les arrosoirs, tu as la force de prendre cinquante kilos. Mais demain peut-être tu ne l’auras plus. » La machine économise les bras mais pompe aussi directement dans le bas-fond et évite ainsi de miner le terrain avec de nouveaux puits. « Avec elle, on peut se débrouiller à deux ou à trois. » Ce qui laisse aux enfants de vaquer à d’autres occupations.

© Dominique Martin – février 2013


Pour les femmes : « Le changement viendra dans le temps »

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Bibata Kindo sensibilise les femmes des villages de Koumbri aux méfaits de l’excision depuis plus de 25 ans

 

 

 

 

 

Ecoutez son témoignage

Depuis 1986, Bibata Kindo rassemble, informe, soutient les femmes des seize villages de l’union Naam de Koumbri dans la province du Yatenga, région Nord du Burkina Faso. Animatrice féminine et productrice maraîchère Bibata Kindo est mariée et mère de quatre enfants. Améliorer les conditions d’existence des femmes fait partie du combat des paysans pour faire reculer l’insécurité alimentaire, l’ignorance et améliorer la santé des populations, insiste-t-elle. Bibata énumère l’incroyable inventaire d’activités exercées par les femmes. Economiques, sociales et environnementales, elles sont partout y compris dans les instances de gestion et de décision des structures créées par les paysans. « Le bureau de notre union compte treize membres dont sept femmes. »

Pour Bibata, la santé est à la base de tout. Sans elle, rien n’est possible. Elle la considère au sens très large, social, incluant le planning familial, les mariages forcés, l’excision et autres violences faites aux femmes. « Nous mettons aussi l’accent sur l’alphabétisation. » Pierre angulaire pour bâtir et gérer toute activité. L’animatrice suscite des causeries dans les villages sur des thèmes précis. L’un d’eux l’a fortement occupée et sans doute transformée : l’excision. Elle, comme la quasi totalité des femmes du Yatenga, l’ont subie. Une marque indélébile sur leur vie de femme, pratiquée à la petite enfance par l’exciseuse du village, par petits groupes de fillettes. Tout le travail de Bibata depuis vingt cinq ans est d’en souligner très concrètement les conséquences néfastes lors de causeries. Ainsi les femmes réalisent puis témoignent entre elles de leur vécu : infections, difficultés aux accouchements, dans le couple, dans les rapports avec son mari, etc. « Le problème du sexe est difficilement exprimé par les femmes. » En marge de l’entretien, Bibata avoue qu’elle aussi a dû apprendre à libérer la parole et désigner les choses par leur nom. La pratique de l’excision persiste aujourd’hui, reconnaît-elle, mais de façon cachée. Le rythme calme de sa voix s’accélère à mesure qu’elle évoque ce sujet, comme sous l’effet d’une colère rentrée. Les croyances sont tenaces. « Nos mères, grand mères et soeurs croient qu’il faut être excisée pour être digne. » Tant que les femmes non excisées restent minoritaires, elles sont gênées de l’afficher. Mais un jour elles seront la majorité : « Le changement va venir dans le temps », Bibata en est sûre. Les enfants en parlent à l’école. « Au début personne n’osait trop en parler avec eux. Maintenant nous sommes obligés de le faire. » Avec le planning familial aussi, pour espacer les naissances, « au début c’était très difficile. Les femmes craignaient qu’avec la contraception elles ne pourraient plus avoir d’enfant.». Maintenant il devenu pratique courante. En plus de la santé, l’animatrice appuie les femmes pour identifier les activités économiques qu’elles peuvent exercer et pour accéder au crédit. Cela passe par de la formation, souligne-t-elle, « afin de ne pas mettre en faillite la banque que nous avons nous-mêmes contribué à créer ».

De nouveaux problèmes ont surgi. Le changement climatique : « Nous pensions qu’il était derrière nous. » Il semblerait que, depuis la fin des années 2000, le régime des pluies soit devenu encore plus irrégulier. Les femmes sont concernées au premier plan car ce sont elles qui doivent aller puiser l’eau pour la famille. Les problèmes de santé s’amplifieraient. En cause, les sites aurifères. « Comme il n’a pas plu l’an dernier, même les femmes et les enfants sont allés là bas. » Ces sites deviendraient des foyers de développement de nombreuses maladies sexuellement transmissibles, du sida en particulier, ou d’autres liées à la poussière. « Et un lieu où il y a la drogue pour nos jeunes. »

Bibata soupire : « Il y a tellement de problèmes ». Son credo est désormais de ne plus travailler seulement avec les femmes mais avec les ménages. « Quand il n’y a pas d’entente dans le couple, on ne peut rien faire. » Complémentarité et solidarité, voilà ce qui manque encore aux hommes et aux femmes pour s’entendre. « Comment pouvons-nous développer nos communes et notre pays, si moi et mon mari nous ne pouvons pas nous asseoir pour discuter de toutes les choses de la famille. » Structures, projets individuels et collectifs, activités et jusqu’aux partenaires financiers, l’environnement des familles paysannes favorise plutôt la séparation que la collaboration. « On ne peut pas parler de développement sans entreprise familiale. C’est  la priorité. »

© Dominique Martin – février 2013

 

 

Ma ferme entreprise africaine

 

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Le Burkina Faso peut se développer avec et grâce à ses agriculteurs. Leader paysan et agriculteur hautement entreprenant, Marc Gansonré illustre et défend la vitalité de tout un peuple, qu’il suffirait d’appuyer pour soulever l’économie du pays.

Une carrure d’entrepreneur  paysan

Marc Gansonré est en plein marathon pour se monter une exploitation agricole. Il est agriculteur à Imasgo, son village natal situé à trois heures de route de Ougadougou la capitale. A la tête de vingt-deux hectares, il envisage de passer à trente-deux d’ici un an en créant notamment une bananeraie. Depuis quatre ans, il développe le maraîchage à proximité d’un bas fond. Cette dépression naturelle est noyée sous les eaux pluviales. Celles-ci sont retenues par une digue construite il y a quatre ans. Premier à s’installer sur la rive, il a encouragé de nombreux jeunes à se lancer eux aussi dans la production en contre saison (sèche) de tomates, oignons, choux, maïs, etc. Ce périmètre irrigué s’ajoute à d’autres surfaces, gagnées petit à petit. Marc excelle dans la production de semences, sorgho et niébé essentiellement. Là où les familles de paysans vivent et travaillent avec trois à six hectares, lui développe un agri business dans lequel il réinvestit les revenus à défaut de disposer de crédit abordable. Employeur de main d’oeuvre, il développe la traction attelée, la mécanisation légère, l’irrigation au goutte à goutte afin de mener de front toutes les activités de production et d’innovation qu’il conduit en parallèle. A terme, il souhaiterait développer la transformation des produits. Il milite également pour une organisation économique des producteurs, particulièrement dans le domaine des fruits et légumes. Il est le président de la filière fruits et légumes de la fédération des professionnels  agricoles du Burkina, la FEPAB, et secrétaire général adjoint de la Confédération paysanne du Faso.

Le goutte à goutte à grande échelle

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Au Sahel l’eau est rare. Autant ne pas la gaspiller, estime Marc Gansonré. En tant que responsable professionnel, il veut donner l’exemple. L’irrigation gravitaire est aujourd’hui la seule méthode d’arrosage pratiquée par les producteurs maraîchers qui se sont mécanisés à l’aide de motopompes pour supprimer la corvée des arrosoirs. Or elle est source d’un immense gaspillage. Tandis que Marc Gansonré parle, le vent qui s’escrime à couvrir ses paroles ne fait que renforcer leur teneur. L’harmattan, ce vent d’Est sec et poussiéreux venant du désert dessèche tout sur son passage. Son souffle assèche les terres, fait suer les plantes à grosses gouttes, et évapore l’eau des rigoles d’arrosage avant même qu’elle ne parvienne aux racines. Marc a testé le goutte à goutte. D’abord avec du matériel médical récupéré et bricolé. Puis en équipant mille mètres carrés. « J’ai mesuré une consommation de gasoil de quinze mille francs au lieu de quarante-cinq mille. » L’irrigation gravitaire mobilise trois fois plus les pompes. Ce d’autant plus qu’elle maximise les pertes d’eau. « Avec le goutte à goutte, on est également libre pour faire autre chose.» Marc a commandé six kits pour couvrir presque deux hectares et demi. Il profite d’un dispositif  subventionné à l’achat par l’Etat. Il a démarré la construction de bacs de décantation de trente-huit mètres cubes pour éviter que l’eau trouble du bas fond ne bouche les goutteurs de son installation. Si la ressource en eau lui semble durable, elle n’en est pas moins convoitée. Ainsi son activité maraîchère entre depuis peu en compétition avec un site minier ouvert à quinze kilomètres de ses champs. L’eau puisée à fort débit entraîne une forte baisse de niveau, obligeant les producteurs à creuser des caniveaux d’amenée de l’eau. Pour Marc Gansonré, il s’agit d’un non respect du code de l’eau adopté au Burkina. Il implique une concertation entre tous les usagers de la ressource. Depuis qu’il a démarré son activité de maraîchage, de très nombreux jeunes se sont installés eux aussi le long de la rive. Beaucoup arrivent d’autres provinces. Ils trouvent dans la culture irriguée une source de revenu plus intéressante que l’expatriation dans les plantations en Côte d’Ivoire. Marc a pu chiffrer cette activité économique très conséquente. Il l’évalue à 196 millions de francs CFA pour 2012. D’après lui, près de cinq cents maraîchers travaillent sur les six kilomètre de sa rive.

 

Commercialisation : comment ne pas rester avec nos légumes sur les bras ?

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Ces commerçants Ghanéens ont effectué plus de 1700 km jusqu’à Imasgo pour acheter les tomates en bord de champ.

 « Les prix sont le plus souvent dictés en fonction de l’offre sur le marché et du caprice des acheteurs. En particulier les commerçants ghanéens – qui se déplacent sur les périmètres irrigués – et font le marché en bord de champ. » Tandis que Marc Gansonré livre son analyse, les discussions vont bon train au pied du camion. Toute la matinée, les paysannes ont afflué de la rive pour apporter, sur leur tête, la production de leurs familles. Les tomates sont chargées dans les caisses en bois, unité de vente dont le prix a été discuté au préalable. La commerçante et ses aides, dépêchés par Marc, ont roulé toute la nuit pour effectuer plus de mille sept cent kilomètres. Ils feront le voyage retour pendant la nuit. Les tomates d’Imasgo seront sur les marchés au Ghana dès le matin.

  « Pour son développement, le Burkina doit s’appuyer sur ses agriculteurs »  

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« Quatre ministères interviennent de façon directe dans le domaine agricole. Nous avons des stratégies mais nous n’avons pas encore de politique agricole au Burkina Faso. La profession agricole souffre de l’incohérence des textes de ces différentes politiques. Le développement rural a été disloqué en séparant l’agriculture,  l’élevage et l’environnement. » Leader paysan, Marc Gansonré dénonce les incohérences des « stratégies » disparates élaborées par les instances de l’Etat dans « un pays qui fondamentalement ne peut compter que sur le développement de son agriculture pour aller vers une croissance accélérée ». Il rappelle le rôle historique des  organisations paysannes qui, face au désengagement étatique,  « ont essayé de prendre en charge le devoir régalien de l’Etat ». Devoir envers une population qui à 86 % vit aujourd’hui encore de l’agriculture. « Sans le développement de l’agriculture, il n’y aura pas de développement conséquent au Burkina (…) Notre avantage c’est une population agricole nombreuse et jeune et nous avons encore de l’espace disponible (…) Mais comment les gens peuvent avoir le courage de s’investir sur des terres sur lesquelles ils ne sont pas sûr de pouvoir rester.» Une loi destinée à sécuriser les populations paysannes sur leurs lopins fut élaborée et adoptée en 2009. « Mais elle n’est pas encore mise en application aujourd’hui. »  Le parcours professionnel de Marc Gansonré en est l’illustration même. Par deux fois dans sa jeunesse il tenta de s’installer sur des terres non exploitées. « Deux fois j’ai dû déguerpir. » En dépit des discours et des « stratégies » énoncées, trop peu d’efforts sont faits pour appuyer réellement les producteurs. « Toutes les instances crées et les politiques pour accompagner l’agriculture n’ont connu de mise en œuvre efficace dans ce pays. » Marc cite le levier de la traction attelée. D’après lui, l’essentiel des efforts pour la développer se concentrent sur les zones cotonnières. C’est négliger tout le potentiel de l’armée de producteurs qui peuple le pays. « Même en restant sur trois à six hectares comme aujourd’hui, si nous travaillions de façon intensive, malgré le changement climatique, le Burkina pourrait être autosuffisant pour son alimentation sans avoir à importer. » Cette capacité des exploitations familiales semble totalement ignorée voire méprisée. A tort. « La campagne passée plus de trois millions de tonnes ont été récoltées par les petites exploitations sur leurs superficies. L’Etat a trouvé le moyen de dire que nous les petits producteurs, nous ne sommes pas une composante performante, ni en quantité ni en qualité. Ils ont décidé d’accompagner l’agrobusiness, désigné sous le terme d’entrepreneuriat agricole. Or selon notre étude de la Confédération paysanne du Faso, les 576 exploitations agricoles d’agrobussiness existantes au Burkina Faso n’ont été capables de produire que 2,1 % de la production agricole nationale. » Parmi ces entrepreneurs à peine 10 % exploiteraient réellement les terres qu’ils ont acquis d’après Marc Gansonré. Pour lui, cet agrobusiness serait bien plus profitable au pays et à son agriculture en  investissant ses capitaux dans la transformation, la distribution, l’exportation et dans tous les autres maillons de la filière. Ceux qui ont de l’argent dans notre pays, dit-il ne cherchent pas à l’investir dans le tissu industriel. La terre n’est pour eux qu’un placement afin de spéculer sur sa valeur future. Pour la production et nourrir le peuple, la politique la mieux avisée serait de se reposer sur « ceux qui ont nourri la population depuis la nuit des temps en aidant ces familles là à se développer. » En commençant par leur sécuriser sur leur lopin par « une législation assez claire ». Et en leur permettant d’accéder aux équipements, au crédit, à la formation, et en organisant le marché. « Si on accompagnait la production de céréales comme on l’a fait pour le coton, le Burkina aurait gagné son autosuffisance. » La nouvelle loi sur les organisations coopératives ne va pas dans le bon sens pour le secrétaire général adjoint de la Confédération paysanne du Faso. Elle vise en fait à aligner le Burkina sur les modèles d’organisations tels qu’ils prévalent dans un pays comme la France. « On a oublié quel type de peuple on a à gérer. » Elle risque d’étouffer dans l’oeuf les initiatives nouvelles ainsi que les 30 000 organisations de base du pays. Chaque projet, chaque source de financement génère en fait des groupements d’opportunité. Très peu se sont organisés pour atteindre une certaine visibilité, telle la Fepab ou la FNGN. « Il faut aider les gens à mieux se structurer avant de vouloir créer des coopératives d’envergure nationale. » Or ce sont ces structures professionnelles qui portent la voix des agriculteurs face aux gouvernants. « On commence à nous écouter mais ce n’est pas encore arrivé au point culminant que l’on souhaite atteindre.

© Dominique Martin – avril 2013