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“La pomme de terre nous a fait sortir de la pauvreté”

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Au soleil de midi, ils sont cinq pour le repiquage des oignons. Le vieux père, les deux garçons, une fille plus jeune et lui, Tasséré Maïga, le chef de famille. Le petit périmètre maraîcher se trouve à deux pas de leur village de Rimassa. « Nous sommes six à vivre et travailler ici. Je n’ai pas d’employé. Quand on gagne c’est avec ma famille seulement. Comme cela, il n’y pas de difficultés à payer des employés ou leurs médicaments s’ils sont malades. On gagne même les années où cela ne donne pas beaucoup. » Le terrain, Tasséré l’a reçu de son grand-père. Il y a plus de trente ans, l’aïeul avait quitté Titao, le chef-lieu de la province situé à dix kilomètres environ. Il était venu s’installer dans ce coin désert. Le village n’existait pas encore. L’eau, il fallait la puiser à dix-sept mètres de profondeur. Le puits du grand-père est toujours là, montre son petit-fils. L’ouvrage fut cuvelé avec la roche ferrugineuse locale qui croûte en surface de la latérite rouge. Ces temps sont loin et ce petit coin de Sahel a bien changé.

 Tasséré en est lui à son dixième puits. Deux seuls sont encore en usage. « Les autres se sont éboulés. Car c’est tout inondé ici l’hiver. En novembre, il y avait bien un mètre d’eau sur le périmètre. » Depuis la bourgade de Titao, sur une quinzaine de kilomètres, s’étend un lac provisoire. L’ancien bas-fond est encadré par deux digues. Durant la courte saison des pluies, de mai à octobre, il se remplit des averses parfois diluviennes. Ces pluies, quand elles abondent, sont du pain béni pour les récoltes de mil et de sorgho des paysans qui se déroulent en novembre. Les cultures sèches de céréales sont la base de l’alimentation des populations locales. L’an dernier il a bien plu. En revanche, 2011 fut une année de vache maigre pour les greniers familiaux. L’oignon, les choux, la tomate que Tasséré cultive, sont des cultures de contre-saison et de vente. En cette fin janvier, plus rien ne pousse dans la poussière de ses champs alentour, hormis les arbres secs de la savane arborée. Ici au pied du bas fond ennoyé, il suffit de creuser un peu pour atteindre la nappe d’infiltration. Le paysan a juste à puiser dans une manne qui semble inépuisable. Cette année, il a bien sept mètres sous le pied. C’est même un peu trop. Il a fallu attendre un mois de plus que les eaux se retirent avant d’attaquer les cultures. Ce petit retard n’est pas le pire des aléas.

Pour vendre ses légumes, Tasséré est livré à lui-même, et aux commerçants. Avec le développement des périmètres, ils affluent jusqu’au bord des champs. Certains camions arrivent de la capitale après trois heures et demi de route puis de piste. D’autres viennent de bien plus loin du Ghana ou du Togo, à plusieurs milliers de kilomètres au Sud. « On vend plus facilement aujourd’hui » estime le maraîcher. Mais rien n’est gagné d’avance. Ni le prix, ni même l’assurance de vendre. Tasséré vient d’en vivre la cuisante expérience. De longue date, il cultive des semences d’oignons pour le marché local. Pour les quarante kilos récoltés l’an dernier, il n’a pas réussi à trouver d’acheteurs. Le commerce n’est pas la seule chose qui lui échappe. La divagation du bétail est une autre menace. Une piste à zébus longe le périmètre de la famille. Les bovins en liberté l’empruntent pour s’abreuver dans le bas-fond. Tasséré a planté une clôture de troncs d’arbres et de grillage tout le long. Mais celle-ci n’entoure pas entièrement sa parcelle. La nuit dernière à vingt deux heures, il a encore surpris un animal, en train de piétiner ses oignons.

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Les plants d’oignons prélevés dans la pépinière avant le repiquage 

Le maraîcher connaît bien son métier. Enfant, il arrosait déjà à la cuvette derrière son père sur le périmètre familial. Installé à son compte, il a développé petit à petit. Le vrai progrès, il le doit à une culture bien particulière, quasi inconnue ici il y a vingt ans. « C’est la pomme de terre qui nous a fait sortir de la pauvreté. Avec elle, la vie de la famille s’est améliorée. Avant, quand j’ai commencé, je n’avais même pas une charrette. » Sa première récolte vendue, il a pu acheter cet outil de transport indispensable auquel on attelle un âne. « Avec la deuxième récolte, j’ai pu gagner une paire de bœufs. Puis en 2011 une moto. Et l’an dernier une motopompe. » La famille de Tasséré s’est constitué aussi un petit cheptel de moutons. Ce petit monde fournit du fumier qui, une fois composté, nourrit la pomme de terre : « La production est meilleure qu’avec de l’engrais. » La motopompe est un gage d’avenir : « Aujourd’hui avec les arrosoirs, tu as la force de prendre cinquante kilos. Mais demain peut-être tu ne l’auras plus. » La machine économise les bras mais pompe aussi directement dans le bas-fond et évite ainsi de miner le terrain avec de nouveaux puits. « Avec elle, on peut se débrouiller à deux ou à trois. » Ce qui laisse aux enfants de vaquer à d’autres occupations.

© Dominique Martin – février 2013