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La vache rouge va-t-elle détrôner l’éléphant d’Afrique ?

 

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C’est un temps que les moins de vingt mille ans ne peuvent pas connaître. Le locataire du dessous, solitaire irascible, était un vieil ours des cavernes qui ronflait comme cent chasseurs rompus et repus. Sur la pelouse d’en face, de gros moutons non sans défense, des mammouths laineux, s’en mettaient plein la panse. Quand sous les frondaisons, les gangs d’aurochs peu farouches et de bisons fougueux se crêpaient la tignasse pour la moindre parcelle d’ombre. Tout cela sous l’œil félin de terribles bandits embusqués, megantereons et homotheriums, de féroces tigres à dents de sabre, Cinonyx pardinensis et Panthera gombaszoegensis, le guépard géant d’Eurasie et son rival le jaguar européen, sans oublier le roi incontesté, sa monstrueuse majesté le lion des cavernes avec son énorme gueule. Toute cette mégafaune glaciaire a fondu comme neige au soleil. Elle n’est plus qu’un maigre paquet d’os sous les vitrines. En France des géants du passé, il nous reste bien quelques troupes de mignonnes bêtes à cornes bien dociles, des rescapées du néolithique maternées par leurs éleveurs, mais certains déjà, au nom des lois de l’évolution morale, verraient bien ces «bêtes à steaks» rangées au registre des espèces en voie d’extinction. Ailleurs, éléphants, rhinocéros, girafes, tigres, panthères et lions, les ultimes grands mammifères survivants encore libres, sont eux bien menacés d’extinction sauvage. Rien de neuf sous les tropiques, en fait. Le compte à rebours s’est mis en route il y a des dizaines de milliers d’années sans que rien ne l’arrête. Notre espèce en est la cause. C’est ce que révèle une étude conduite par quatre universités américaines emmenées par une équipe du département de biologie de l’University of New Mexico à Albuquerque. Elle commence juste après l’extinction des dinosaures, il y a un peu plus de 65 millions d’années. Durant cet âge d’or des mammifères, ce sont les espèces de petite taille qui tendent à disparaître. L’extension des prairies, la glaciation démarrée il y a trente-cinq millions d’années, jouent en faveur des bestiaux de grande taille. Cependant le sablier commence à s’inverser il y a 2,5millions d’années. Au Pléistocène, les grands animaux régressent puis les géants s’éteignent les uns après les autres à la surface du globe. Hors l’Afrique, ne survivent que des espèces miniatures, modèles réduits de leurs ancêtres. Le soleil ou la pluie n’y sont pour rien. L’expansion de l’humain pour beaucoup selon les chercheurs. Néandertaliens, Dénisoviens, Sapiens pour finir le boulot, sur les 125 000 ans passés, au fil des migrations et de leur prolifération, les groupes humains règlent leur sort à tous les grands animaux, montre cette étude. Le chrono tourne toujours. Les scientifiques se sont projetés deux cents ans dans l’avenir. A cette échéance, le plus gros mammifère à fouler le plancher des vaches sera… la vache justement. Parions qu’il s’agira d’un mâle de race rouge des prés, fierté du Maine et de l’Anjou. En ce 21ème siècle, certains spécimens trônent comme les bovins les plus lourds du monde. Lui affichait 1950 kg à la pesée. C’était en février 2016 au salon de l’Agriculture. Le pachyderme élevé à La Marolle-en-Sologne dans le Loir-et-Cher, détrônait alors un autre éléphant de même race appelé«Royal», détenteur du record mondial depuis 1988 avec 1 932kg. Fêtard, ainsi s’appelait le mastodonte de deux tonnes, ne fêta guère longtemps son titre. On le retrouva mort en septembre de la même année après s’être coincé accidentellement la tête dans une barrière. Le fragile malabar n’avait que six ans. Très doux, il avait vu le jour dans le berceau de la race, à La Jubaudière en Maine-et-Loire. Qui sait si dans deux siècles, après le grand réchauffement, les éleveurs du secteur proposeront des «écolo safaris» dans la savane angevine pour touristes avides de découvrir, encore en chair et en os, les derniers géants de la Terre.

Dominique Martin

Juin 2018

Viandard ou végétarien : un débat vieux comme Néandertal

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A l’ère d’internet, du colportage planétaire de « fake news » (les fausses nouvelles), de « faits alternatifs » et autres « post vérités », il est des « découvertes » qui ont l’art d’irriter le nerf de nos méga cerveaux en déroute. Le 1er avril (sic), la chaîne de télévision Arte tentait de nous faire croire, « documenteur » à l’appui, à l’exhumation d’une femme Homo sapiens morte en couches il y a 25 000 ans et enceinte d’un bébé Néandertal. Mieux : nos ancêtres néandertaliens n’auraient jamais disparu, il y a 30 000 ans, leurs gênes auraient tant infusé les populations humaines que votre voisine, votre épouse ou peut-être vous-même pourriez ne point être de l’espèce que vous croyiez ! Bien sûr tout cela sonne faux, jusqu’à preuve du contraire. Seuls une poignée de vieux gênes auraient survécu parmi les peuples européens et asiatiques. Il n’empêche, une étude publiée trois semaines avant, montre que l’aïeul qui nous précéda de longue date sur le continent n’avait rien à envier sur le plan des cultures alimentaires aux hommes modernes que nous croyons être devenus. Cette recherche pilotée par l’University of Adelaide en Australie a impliqué au total vingtcinq universités d’une douzaine de pays, ce qui fait beaucoup pour penser à un canular scientifique. Les chercheurs ont travaillé sur l’ADN de dents d’hommes de Néandertal datant de 42000 à 50000 ans sur deux sites très éloignés, Spy en Belgique et El Sidrón en Espagne. Elles provenaient de quatre personnes. Plus spécialement, ils ont analysé la plaque dentaire déposée à la surface des dents. Le tartre piège des bribes de nourriture et des microbes de la bouche, amicaux et pathogènes, dont on a soigneusement extrait l’ADN résiduel. Première révélation de taille : les populations des deux sites avaient des régimes alimentaires très différents. Les dents des Belges avaient pour habitude de mastiquer de grandes quantités de viandes, rhinocéros laineux et moutons sauvages notamment, agrémentés de champignons. A l’opposé de ces viandards, le Néandertal d’Espagne s’adonnait à un régime méridional végétarien fait de pignons de pin, de champignons, d’écorces et de mousses. Sur la dent de l’un d’entre eux, les analyses ont trouvé de l’ADN de peuplier, arbre dont l’écorce contient de la salicine, substance métabolisée en acide salicylique (aspirine) par le foie. Or les mêmes analyses ont révélé que l’individu souffrait d’un abcès dentaire et hébergeait un parasite intestinal. Il aurait donc pu consommer des écorces de saule non pour manger mais en vue de se soigner. De même, des traces de Penicillium, champignon aux propriétés antibiotiques, ont été décelées. Faut-il en conclure que l’humanité néandertal avait déjà son lot de vegans et d’écolos accros aux médecines naturelles ? Que ton aliment soit ta première médecine, enseignait le Grec Hippocrate au temps de Périclès, sans savoir qu’il n’y avait peut-être là rien de nouveau sous le soleil. Ces découvertes fondamentales dans la bouche de Néandertal montrent assurément que s’il est une innovation dont Sapiens pourrait s’enorgueillir, ce devrait être le brossage des dents.

Dominique Martin

Avril 2017