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Soif et ivresse nos plus anciennes et fidèles compagnes

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La beuverie, fidèle compagne du dimanche et de combien de nos fêtes chrétiennes ou laïques, l’ivresse puisée dans l’alcool où flotte notre cervelle parfois si lourde à porter, bref la soûlerie est aussi vieille que notre espèce, voire davantage. De récentes découvertes le confirment. La toute dernière situe le berceau du vin en Géorgie il y a huit mille ans au moins. Une équipe internationale d’archéologues emmenée par l’université de Toronto comprenant des chercheurs géorgiens, canadiens, italiens et de l’Inra en France vient de repousser d’un millénaire environ la pratique de vinification du raisin. Elle a conduit des fouilles sur deux sites du Néolithique ancien, Gadachrili Gora et Shulaveris Gora, à environ cinquante kilomètres au sud de Tbilissi la capitale de la Géorgie. L’analyse de substances retrouvées dans huit jarres mises au jour révèle la présence d’acide tartrique, résidu chimique du raisin et du vin, ainsi que trois autres acides typiques : malique, succinique et citrique. Auparavant, la plus ancienne preuve matérielle provenait des monts Zagros en Iran. Elle datait de cinq mille ans avant que le Christ ne sanctifie la païenne boisson. Le vin et son art seraient un élément central du mode de vie néolithique qui s’est répandu dans le Caucase puis en Irak, en Syrie, en Turquie, dans tout le Croissant Fertile qui a vu la naissance de l’agriculture. La poterie, essentielle à la vinification, a été inventée à cette période. Voilà qui corrobore le récit biblique de la première cuite et de ses conséquences désastreuses, celle de Noé, dont l’arche se serait échouée tout près, sur le mont Ararat à la lisière de la Transcaucasie. Après la grande épopée du déluge, Noé est seul survivant avec sa femme, ses trois fils et leurs compagnes. Il commence à cultiver la terre mais aussi plante la première vigne, en récolte le vin, qu’il boit plus que de raison. Son fils Cham le surprend ivre mort et nu. Furibond, le patriarche condamne à l’esclavage toute sa descendance, soit un tiers de l’humanité. Le saint livre insinue à sa façon que, depuis les origines, le vin et ses effets concourent aux destinées humaines. Plus tard, il narre une autre péripétie vinique : Loth, le frère d’Abraham devenu veuf et SDF, est entrainé par ses deux filles dans une caverne où elles l’enivrent et le violent afin qu’il engendre en elles son illustre descendance. Ce que ne disent ni les archéologues ni les Ecritures, est que l’ivresse serait bien plus ancienne encore. Elle aurait précédé, et de beaucoup, le vin biblique ou les boissons païennes fermentées à base de grain, de miel ou de sève de palmier. Elle serait même antérieure à l’émergence de notre espèce. Elle aurait participé activement à l’évolution qui lui a donné naissance selon les recherches du généticien Matthew Carrigan du Santa Fe College à Gainesville, en Floride. Lui et son équipe ont découvert qu’une mutation survenue chez l’ancêtre africain des humains et des grands singes lui a permis de métaboliser l’éthanol quarante fois plus rapidement. Comme les orangs outangs actuels, nos lointains aïeux vivaient dans les arbres. Ils se nourrissaient de fruits plus ou moins mûrs et de feuilles. Chez eux, le gène dit ADH4 codant pour l’alcool deshydrogénase 4 leur permettait de décomposer divers alcools nocifs présents dans les végétaux comme le géraniol aux effets anti-appétant. Mais pas l’éthanol, substance encore peu répandue dans les campagnes à cette époque fort reculée. Il y a une dizaine de millions d’années, une mutation de ce gène serait intervenue chez notre dernier ancêtre commun avec les chimpanzés et les gorilles. L’époque où il s’est mis à explorer le sol, en quête notamment de fruits tombés à terre. Ces derniers étant souvent fermentés par les levures, la mutation aurait permis d’accéder à des calories indisponibles jusque-là tout en limitant les effets dévastateurs. L’alcool est une toxine qui tant qu’elle n’est pas dégradée, altère le jugement, facilite les chutes et la tâche des carnassiers à l’affût. Grâce à ce bond évolutif, nous aurions pris peu à peu goût à ce don du ciel jusqu’à l’ivresse, un comportement quasi universel parmi les humains, observé également chez les chimpanzés vivant à leur contact. L’aye-aye, ce curieux primate nocturne des forêts de Madagascar issu d’une branche séparée très tôt dans l’arbre de l’évolution, aurait curieusement acquis une mutation et un penchant similaires. Donc, si l’alcool a fait l’humanité pour qu’un jour elle invente le vin, miracle dont nos cousins sont demeurés incapables jusqu’ici, la modération voire l’abstinence semblent une invention très moderne, propagée avec plus ou moins de succès par les saints livres et saines prescriptions. « Notre trésor ? Le vin. Notre palais ? La taverne. Nos compagnes fidèles ? La soif et l’ivresse. » Peu après l’an mille, en terre d’Islam (l’actuelle Iran), c’est ainsi que le persan Omar Khayyam, à la fois astronome, mathématicien, philosophe et poète louait le jus de la treille et ses effets euphorisants dont visiblement il savait tout : « Nous ignorons l’inquiétude, car nous savons que nos âmes, nos cœurs, nos coupes et nos robes maculées n’ont rien à craindre de la poussière, de l’eau et du feu. »

Dominique Martin

Janvier 2018

De l’art ou du lard à la table du Christ

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Il sut multiplier les pains et les poissons, mais ce n’est pas avec Lui que les apôtres seraient devenus obèses! Deux chercheurs américains ont scruté à la loupe numérique cinquante-deux tableaux représentant la Cène, le célèbre et dernier repas de Jésus. Sur ces toiles peintes entre l’an 1000 et l’an 2000, ils ont mesuré la taille des portions dans les assiettes du Christ et des apôtres grâce à des techniques d’analyse d’imagerie en 3D. Résultat : elles n’ont cessé d’augmenter ! A supposer que les peintres ont bien traduit les moeurs de leur époque, on tiendrait là la preuve que nous mangeons de plus en plus, et que ce progrès s’étale sur un millénaire. Le sacrilège du grignotage, la religion de la consommation ou l’influence spirituelle de l’oncle Sam ne seraient donc que des épiphénomènes dans un lent mouvement de dilatation des estomacs. Dieu sait que le miracle désormais banal de la multiplication industrielle des pains et des burgers n’impressionne plus personne de nos jours.

Dominique Martin

Septembre 2010

Protégeons nos enfants des images sublimes abdominales

Jusqu’où se loge la violence des scènes susceptibles de heurter la sensibilité de jeunes spectateurs ? A côté de la découverte des chercheurs du centre d’imagerie cérébrale de l’Université du Kansas, le cinéma rose cochon et le navet à l’hémoglobine, c’est du pudding aux fraises. Ils ont soumis vingt enfants de dix à dix-sept ans à divers types d’images, juste avant ou après leur repas. Parmi elles figuraient d’insoutenables photos d’aliments. En parallèle, ils ont scruté l’effet de ces images directement dans le cerveau de la jeunesse. Et qu’ont-ils vu ? L’appel de la bonne chère. Sa seule vue provoque une activation des régions limbique et para limbique du cerveau. Chez les enfants obèses se produit une hyper stimulation avant et après repas. Celle-ci perdure plus longtemps chez eux une fois la belle chère consommée. Deux interprétations possibles. Soit l’obésité infantile serait liée à un dérèglement du cerveau, trop excité à la vue de la moindre religieuse. Soit c’est votre télé qui aurait besoin d’un petit réglage pour dégraisser l’écran pub d’un peu de friture.

Dominique Martin

Juillet 2010 

Minceur ne rime pas avec bonheur

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Les adultes malheureux ne connaissent pas leur chance ! Trop de bonheur ferait grossir, selon une étude publiée par l’INVS réalisée sur 3 000 adultes de l’agglomération parisienne interrogés à leur domicile. Elle montre que 41,1 % des hommes souffrent de surpoids contre 31,1 % des femmes mais, à l’inverse, que celles-ci sont plus souvent obèses : 9,7 % contre 7,7 %. Ces kilos superflus viennent enrober un parcours d’existence plutôt heureux. Ainsi, chez les femmes, la surcharge pondérale suit le fait d’avoir eu des enfants, et vécu une enfance malheureuse suivie d’une adolescence heureuse ! La nationalité africaine ou maghrébine des parents étant par ailleurs un facteur prédisposant. Chez les hommes, le surpoids est lié lui aussi à l’existence d’une descendance mais aussi au fait de vivre ou d’avoir vécu avec un partenaire atteint d’une maladie grave. Pas terrible direz-vous ! C’est qu’il y a pire. Ainsi, les hommes ayant connu le décès de leur conjoint ou vécu eux-mêmes une maladie grave avant l’âge de 18 ans : ceux-là n’auraient quasi aucun risque de bourrelets superflus. Chez les femmes, celles qui ont traversé une séparation ou un divorce, ou vécu une enfance heureuse puis une adolescence malheureuse, semblent elles aussi épargnées par les kilos en trop. Autant de raisons, mesdames, d’arrêter de se lamenter devant le miroir.

Dominique Martin

Mars 2010

Que la faim du monde repose en paix

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Nourrir l’humanité. Dix mille ans d’agriculture, de croissance, d’explosions démographique, économique, technologique… et le problème des ventres vides reste entier. Ce 16 octobre, décrété journée mondiale de l’alimentation depuis 1979, les révélations des Nations Unies filent le vague à l’âme à la Terre entière. Dans son dernier rapport, la FAO alerte d’un revirement soudain. Après dix années de progrès contre la faim, celle-ci empire à nouveau et pas d’un peu. En 2016, le nombre de personnes souffrant de sous-alimentation chronique aurait augmenté de près de quarante millions, passant à 815 millions contre 777 en 2015. De gros chiffres durs à avaler qui, à défaut de nourrir les intéressés, alimentent les consciences sur les causes de cette dégradation. L’insécurité alimentaire s’est aggravée dans certaines régions de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie du Sud-Est et de l’Asie de l’Ouest. Les conflits locaux, et le contexte qu’ils génèrent, jouent un rôle majeur. Leur nombre ne cesse de s’accroître. La majorité des individus en situation d’insécurité alimentaire vivent dans des pays touchés par une guerre civile ou la violence constate la FAO. Les chiffres à l’appui donnent le tournis : 489 des 815 millions de personnes sous-alimentées et 122 des 155 millions d’enfants souffrant de retard de croissance seraient dans ce cas. Exacerbés par les chocs climatiques (sécheresses, inondations), ces conflits sont parmi les principales causes des crises alimentaires graves ainsi que des famines récemment réapparues. Tel est le cas au Soudan du Sud, dans le nord-est du Nigéria, en Somalie et au Yémen. Faim et dénutrition frappent plus durement là où les conflits se prolongent et les capacités institutionnelles sont faibles. Les habitants des campagnes et les pauvres qui y survivent (les quatre cinquièmes environ des personnes vivant dans l’extrême pauvreté sont dans les zones rurales) sont les premiers touchés. Tributaires de l’agriculture, ils doivent faire face aux effets conjugués des conflits sur toute la chaîne : production, récolte, transformation, transport, financement et commercialisation. La sous-alimentation est la partie émergée d’un iceberg appelé vulnérabilité. Sur la planète, plus de deux milliards de personnes vivent déjà dans un pays touché par les conflits, la violence. Les plus vulnérables de la société y sont les plus touchés. Leur nombre devrait croître avec la démographie. Divers mécanismes s’ajoutent comme la perte d’accès aux terres productives, aux pâturages, combustibles et points d’eau, l’engagement forcé ou volontaire des hommes dans les forces combattantes, les violences faites aux femmes, la désintégration des réseaux sociaux et de solidarité. L’insécurité qui en résulte peut elle-même entretenir violence et instabilité dans la durée. De même, les flambées de prix des denrées alimentaires, les sécheresses, la compétition sur les ressources naturelles, etc. Tout cela conduit au cercle vicieux de la violence : « Le monde devient plus violent, sous des formes qu’il est de plus en plus difficile de maîtriser » souligne la FAO. Alors que la plupart des pays ont pu réduire considérablement la faim et la dénutrition, celles-ci demeurent comme les symptômes d’une Terre malade où la paix recule. Le monde est moins pacifique qu’il ne l’était encore en 2008. Les conflits violents ont augmenté de façon dramatique depuis 2010 et ils n’ont jamais été aussi nombreux, estime la FAO. Guerres civiles et hostilités internes sont désormais plus nombreuses que les confrontations militaires entre les États. La belligérance au sein même des nations prévaut. Ses victimes inconnues ne portent aucun uniforme. Les réponses données à ce nouveau désordre du monde sont surtout humanitaires, alimentaires et sanitaires, relève la Fao. Tout en soulignant leur carence. Tant elles devraient concourir à rétablir la paix, à restaurer aux populations leurs moyens d’existence et capacités de résilience.

Dominique Martin

Novembre 2017

Manger du mammouth ça vous fend le cœur?

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Nom d’un bison poilu! Cro-Magnon et son regretté cousin Néandertal se fendraient bien la poire au coin du feu à discourir sur les cancans de la petite tribu des végétariens, colportés sur les tam-tams du web 2.0. Sûrs que de grands gaillards comme eux, aux squelettes massifs et aux cerveaux bien plus gros que les nôtres, se pourlécheraient les babines en sirotant de délicieux os à moelle rôtis en écoutant les derniers échos de radio cavernes. Trente-cinq mille ans et des poussières après que des chasseurs artistes nous ont laissé en rupestres peintures l’incroyable bestiaire où ils puisaient leurs nourritures charnelles et spirituelles, de savants sapiens continuent en effet de se demander si le mammouth a vraiment sa place dans notre assiette. Peut-être les travaux de la Rutgers New Jersey School of Medicine à Newark aux Etats-Unis vont-ils enfin rendre grâce au legs alimentaire de nos primitifs ancêtres. Ces chercheurs américains ont voulu savoir si exclure la viande de notre alimentation pouvait réduire les risques de maladies cardiaques. Les problèmes cardiovasculaires sont la première cause de décès de notre espèce à travers le monde d’après l’Organisation mondiale de la santé. L’héritage empoisonné de Cro-Magnon y serait pour beaucoup aux dires de la tribu végétarienne qui fait de la chair fraîche son bouc émissaire. Après avoir suivi douze mille sapiens pendant trois ans, les chercheurs concluent que ceux ayant adopté un régime sans produits carnés n’ont pas le cœur ou les artères en meilleure santé que les autres. Certes les 260 descendants d’Adam et Eve ayant troqué leur peau de bête contre la feuille de vigne sont plus minces, observent-ils. Mais ces mangeurs de pommes et de racines sont aussi plus jeunes que la moyenne, et ce sont plus souvent des femmes, dont les canons ont quelque peu «co évolué» avec le machisme ambiant depuis l’aurignacien, âge d’or de la bombasse callipyge comme en témoignent nombre de statuettes fort suggestives. Quoique en soit,si le régime fruits et légumes aide à tenir la ligne directrice de notre époque, manger de la viande ne semblerait point interférer avec nos douloureuses affaires de cœur. Une conclusion toutefois limitée dans le temps puisque les scientifiques ont appliqué aux participants le test de Framingham, un outil qui permet d’estimer le risque cardiovasculaire individuel à dix ans seulement. Sur la très longue période, on ne peut dire que le régime de Cro-Magnon ait porté préjudice à son espèce, dont le succès planétaire fut tel qu’elle dévora jusqu’au dernier des mammouths.

 

Dominique Martin

Novembre 2016

La virilité se joue à la pointe de la fourchette

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L’homme, sous-entendu le mâle, est un exhibitionniste qui s’ignore. Une expérience de laboratoire vient de le prouver. Dans la nature, rien n’est plus visible et ostensible que le combat titanesque des baleines mâles, la joute bois contre bois des cerfs dans les forêts ou les concours de roucoulements des pigeons ramiers à la parade. Tout cet étalage de force et de performances pour s’assurer de leur supériorité vis-à-vis des autres mâles et impressionner les femelles nous fait sourire, nous hommes tout entiers pétris de culture par-dessus le socle bestial. Pourtant les comportements d’exhibition et les démonstrations de virilité face à nos rivaux, tout ce tapage et tambourinage de poitrine est on ne peut plus commun chez notre espèce. C’est ce que révèle l’expérimentation conduite par quelques chercheurs de la Cornell University située à Ithaca dans l’Etat de New York USA. Une vingtaine d’étudiants ont servi de cobayes. Certains ont été mis au défi de manger le plus d’ailes de poulet possible avec la perspective de recevoir une médaille (en toc). Ils en ont mangé quatre fois plus que d’autres invités juste à en faire leur dîner. Certains ont par ailleurs réalisé l’épreuve en présence de spectateurs. Il s’avère dans ce cas que les hommes en ont avalé encore 30% de plus. En public ou non, tous ont trouvé cela très grisant et cool de participer à une telle compétition. A l’inverse, face aux spectateurs, les femmes ont freiné des deux mandibules. Elles ont mangé 30% d’ailes de poulet en moins par rapport à leur score en huit-clos. Dans les deux cas, elles sont sorties des épreuves avec un sentiment d’embarras et quelque peu complexées. Dans une seconde expérience sur quatre-vingt-treize étudiants, les chercheurs ont voulu voir si les champions des concours de mangeaille, sport très répandu aux USA, sont perçus comme plus «forts» et susceptibles d’engendrer une plus large progéniture. Il en ressort qu’aux yeux de tous, de grandes performances alimentaires ne rendent pas les femmes plus attractives. Mais lorsque ces prouesses sont le fait des hommes, le sexe opposé n’y est pas vraiment sensible. Autrement dit, l’alimentation en société conduit, par le processus de rivalité, à la suralimentation chez les hommes exclusivement, ceci en pure perte.

Dominique Martin

Janvier 2017

« Big Data is watching you »in the closet

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Savez-vous le propre de l’homme? Il n’est pas fiable. Dans l’ère robotique qui s’ouvre devant nous humains, ce défaut de conception devient de plus en plus gênant, voire rédhibitoire. Pas de souci, il sera bientôt corrigé par une connexion haut débit en illimité avec l’intelligence artificielle. Cette nouvelle divinité en charge de notre futur ne sait ni feindre ni mentir, pas encore. Faute de mise à jour, l’homme archaïque reste lui victime de son cerveau et de sa biologie qui n’ont rien de l’électronique d’un ordinateur. La mémoire sélective, l’art de pécher par omission, les petits arrangements avec soi-même, la dissimulation sous le tapis, voilà bien les limites du vieux logiciel humain lorsqu’il s’agit de répondre de ses actes. Ces bugs infectent le quotidien des scientifiques penchés sur nos pratiques alimentaires, tout particulièrement lorsqu’ils tentent de repérer les comportements erratiques de leurs semblables virosés aux malwares du diabète, du surpoids et de l’obésité. Toutes les enquêtes déclaratives censées reconstituer ce que nous ingérons sont entachées de grandes auréoles d’erreurs, de cette distorsion de la réalité dont l’espèce humaine est la spécialiste. Elles se résument à des pis-aller, faute d’échantillonner le trafic digestif à la source ou à son embouchure. C’est la tâche courageuse à laquelle se sont attelés les chercheurs de l’Imperial College London: relever la lunette et porter un regard inquisiteur en direction de cette lune à décrocher. Notre corps est une belle machine qui émet quotidiennement son flux de données. Mais hélas tout est perdu: au lieu d’alimenter les tuyaux de la science et ses lumières, les datas s’écoulent abjectement dans les sombres canalisations du tout à l’égout. Ce que montrent les travaux de la sérieuse et vénérable université britannique est qu’il suffirait de connecter ce flux à un terminal d’analyse pour éclairer enfin la face cachée de nos comportements alimentaires. Un simple test d’urine, voilà qui remplacerait des tonnes de questionnaires rébarbatifs aux réponses peu fiables pour savoir si notre alimentation est équilibrée. Ce test serait une vraie photo du profil diététique de ce que nous mangeons : sucre, gras, protéines, fibres, etc. Matin, midi et soir, trois jours durant, dix-neuf volontaires ont offert leur urine à la science pour que les chercheurs calent leurs équations à partir des centaines de métabolites analysés dans le liquide de couleur or. La fiabilité a ensuite été éprouvée sur une cohorte de patients impliqués dans des études précédentes, près de trois cents sujets des couronnes britanniques et danoises dont on avait conservé des fioles d’urine et enregistré les régimes au quotidien. Si la précision reste à affiner, les chercheurs sont optimistes. Selon eux, le test serait disponible d’ici deux ans. On imagine le développement industriel qui s’en suivra. Hardware pour recueillir les données, sous forme de toilettes intelligentes et connectées. Et pour le software, des alertes postées à jet continu sur votre smartphone. Mais gare au bénéfice que certains pourraient retirer de possibles fuites d’infos urinaires. Des datas brokers pourraient vendre ces flux de données intimes à votre assureur ou aux marchands de régimes du net. On nage en pleine science miction.

Dominique Martin

Février 2017

A quelle vitesse l’on se reproduit : une question de poids

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L’impasse reproductive, serait-ce là le stade ultime de l’évolution de notre espèce? Depuis une dizaine de millénaires,les humains prolifèrent à tout va en s’assurant toujours plus de ressources alimentaires, énergétiques, etc. En ce début de 21ème siècle, la faim finit de céder à l’excès de nourriture son rang de premier fléau affectant l’humanité. Selon une étude américaine, la survie même de notre espèce pourrait en être affectée. A moins qu’il s’agisse d’un nouveau modèle du couperet de la sélection naturelle généré par notre propre développement? Les chercheurs de l’Eunice Kennedy Shriver National Institute of Child Health and Human Development ont étudié en détail la fertilité de cinq cents couples volontaires d’une cohorte suivie pour analyser les liens entre leurs performances reproductives et l’exposition aux produits chimiques de leur environnement. Les couples procréateurs ont été suivis jusqu’à la grossesse ou sinon pendant un an après leur première tentative de conception. Il ressort que le premier facteur affectant leur capacité de procréer est l’obésité. Lorsque celle-ci est sévère (indice de masse corporelle supérieur à 35) pour les deux partenaires du couple, le délai pour concevoir un enfant est allongé de 60% par rapport aux géniteurs n’ayant point de surcharge pondérale. Imaginons exacte l’hypothèse d’une part héréditaire dans l’épidémie d’obésité mondiale. Dans ce cas, notre espèce s’engagerait dans une sélection via l’alimentation, laissant plus de chance de se reproduire à celles et ceux parmi les moins fragiles face à la pléthore alimentaire.En supposant que l’hypothèse soit fausse, l’humanité entière dans sa course folle au surpoids s’apprêterait à marquer le pas dans son expansion. Peut-être est-ce ainsi, en totale inconscience, qu’elle y gagnerait le salut: stabiliser un poids fixe d’humains sur la planète, en d’autres termes maintenir son indice de masse corporelle mondiale à un niveau acceptable, ceci en limitant la démographie par l’arme alimentaire de l’obésité massive ! Réguler le surnombre par le surpoids, l’argument peut paraître fallacieux. En étant moins cynique tout en adoptant la frugalité des antiques Cyniques, on peut aussi continuer de croire en les vertus de la raison, faculté de l’humanité qui lui permettrait de juguler sa taille sans s’exploser le tour de taille.

Dominique Martin

Mars 2017

Viandard ou végétarien : un débat vieux comme Néandertal

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A l’ère d’internet, du colportage planétaire de « fake news » (les fausses nouvelles), de « faits alternatifs » et autres « post vérités », il est des « découvertes » qui ont l’art d’irriter le nerf de nos méga cerveaux en déroute. Le 1er avril (sic), la chaîne de télévision Arte tentait de nous faire croire, « documenteur » à l’appui, à l’exhumation d’une femme Homo sapiens morte en couches il y a 25 000 ans et enceinte d’un bébé Néandertal. Mieux : nos ancêtres néandertaliens n’auraient jamais disparu, il y a 30 000 ans, leurs gênes auraient tant infusé les populations humaines que votre voisine, votre épouse ou peut-être vous-même pourriez ne point être de l’espèce que vous croyiez ! Bien sûr tout cela sonne faux, jusqu’à preuve du contraire. Seuls une poignée de vieux gênes auraient survécu parmi les peuples européens et asiatiques. Il n’empêche, une étude publiée trois semaines avant, montre que l’aïeul qui nous précéda de longue date sur le continent n’avait rien à envier sur le plan des cultures alimentaires aux hommes modernes que nous croyons être devenus. Cette recherche pilotée par l’University of Adelaide en Australie a impliqué au total vingtcinq universités d’une douzaine de pays, ce qui fait beaucoup pour penser à un canular scientifique. Les chercheurs ont travaillé sur l’ADN de dents d’hommes de Néandertal datant de 42000 à 50000 ans sur deux sites très éloignés, Spy en Belgique et El Sidrón en Espagne. Elles provenaient de quatre personnes. Plus spécialement, ils ont analysé la plaque dentaire déposée à la surface des dents. Le tartre piège des bribes de nourriture et des microbes de la bouche, amicaux et pathogènes, dont on a soigneusement extrait l’ADN résiduel. Première révélation de taille : les populations des deux sites avaient des régimes alimentaires très différents. Les dents des Belges avaient pour habitude de mastiquer de grandes quantités de viandes, rhinocéros laineux et moutons sauvages notamment, agrémentés de champignons. A l’opposé de ces viandards, le Néandertal d’Espagne s’adonnait à un régime méridional végétarien fait de pignons de pin, de champignons, d’écorces et de mousses. Sur la dent de l’un d’entre eux, les analyses ont trouvé de l’ADN de peuplier, arbre dont l’écorce contient de la salicine, substance métabolisée en acide salicylique (aspirine) par le foie. Or les mêmes analyses ont révélé que l’individu souffrait d’un abcès dentaire et hébergeait un parasite intestinal. Il aurait donc pu consommer des écorces de saule non pour manger mais en vue de se soigner. De même, des traces de Penicillium, champignon aux propriétés antibiotiques, ont été décelées. Faut-il en conclure que l’humanité néandertal avait déjà son lot de vegans et d’écolos accros aux médecines naturelles ? Que ton aliment soit ta première médecine, enseignait le Grec Hippocrate au temps de Périclès, sans savoir qu’il n’y avait peut-être là rien de nouveau sous le soleil. Ces découvertes fondamentales dans la bouche de Néandertal montrent assurément que s’il est une innovation dont Sapiens pourrait s’enorgueillir, ce devrait être le brossage des dents.

Dominique Martin

Avril 2017