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Ousmane Barké Diallo

“Pour la démocratie, notre agriculture familiale et son organisation sociale”

IMG_2292recad BDcopieDe sa longue silhouette effilée, l’étranger avance d’un pas que rien ne presse. Engoncé dans la casquette chaude, noyé sous le blouson épais, il a cette présence discrète et anonyme de l’homme de passage, loin des terres et des visages connus. Je le rencontre en plein mois de novembre tandis qu’il court un marathon de conférences dans l’Ouest de la France. Un moment de liberté et de fierté pour ce paysan éleveur qui manie parfaitement la langue française que le colonisateur instilla en son pays.

Ousmane Barké Diallo est un agro pasteur, comme son père et son grand père le furent avant lui. Chez lui, le bétail vit en liberté et l’éleveur est celui qui suit le troupeau et qui ne revient pas. « Le Peul est un semi nomade qui fait puis qui défait la hutte de paille. C’est comme cela que mon grand père vivait. Nous ne vivons que par les animaux.» Ousmane, il cultive un peu : du riz, de l’arachide, du niébé. Son troupeau transhume au gré de la montée et de la descente des eaux dans le grand delta du fleuve Niger. Depuis quelques années, le pasteur est devenu un nomade des temps modernes, parcourant de nombreux pays, de l’Afrique à l’Europe, au gré des invitations. « Les gens que je vois ne sont pas assez informés de la réalité de mon pays. Je voudrais jeter un pont d’information et d’éveil pour échanger sur ce qui se passe chez vous et chez nous, à l’écart des grands manipulateurs à qui appartiennent la télé, les grands médias. »

En février, il fêtera ses 52 ans. Il sera chez lui au village de Sofara dans la Région de Mopti, au centre du Mali. Avec Kadidia son épouse et leurs enfants, trois filles et un garçon. « Nous avons 120 à 130 bêtes » confie-t-il en restant vague. Ce n’est pas dans l’habitude de décrire l’étendue de son troupeau. « Nous faisons des boeufs pour la traction, la boucherie et du lait.» Le lait est l’affaire de Kadidia. Seulement un à deux litres par jour et par vache selon la saison

Au Mali, le paysan vit de peu mais il est en marche pour améliorer et maîtriser son destin. Cela ne va pas sans heurts car ici, comme dans beaucoup de pays du Sud, le paysan est loin d’être une espèce protégée. Selon Ousmane, la grande menace immédiate est ce qu’il appelle l’agro business. Non par idéalisme, mais pour tout ce que cela peut détruire : « Notre environnement, nos variétés locales, le principe de produire nos propres semences. Et si demain nous ne pouvons plus payer ces semences brevetées, ce sera l’accaparement de nos terres, la destruction de la cellule familiale et la reprise de l’émigration vers la ville ou l’Europe. » Ce progrès là, Ousmane n’en veut pas : « Chez nous l’exploitation familiale ce n’est pas que la production mais toute une organisation sociale autour de gens qui se connaissent. » Ce n’est pas le premier combat du pot de terre contre le pot de fer sur la terre d’Ousmane. En 1968, il a dix ans quand son monde bascule dans la dictature, huit années seulement après l’indépendance. A cette époque, Ousmane est étudiant à Bamako. Ses parents l’ont envoyé suivre une formation d’inspecteur en assurance, métier qu’il ne pratiquera jamais. Il milite comme beaucoup de jeunes en révolte dans les mouvements clandestins. Puis il revient militer dans la principale association clandestine, l’Alliance pour la démocratie. Associée à d’autres mouvements de résistance, elle finit par faire écrouler le régime le 23 mars 1991. A la veille des élections de 1997, il quitte définitivement Bamako. «Mon père est décédé. Il n’y avait plus d’homme à la maison. J’ai décidé que c’était à moi de revenir. »

Aujourd’hui Ousmane est le chef de sa famille : « Je suis le plus âgé. » Tout ce qu’il a appris dans sa jeunesse sur le moyen de dynamiser les hommes, il l’a mis dans son combat pour le développement. Le monde paysan a sa propre capacité de mouvement. Même de faibles moyens y ont de grande chance de porter au but, soutient Ousmane. « Ce n’est pas aux autres de nous développer. Nous connaissons nos problèmes. Ce sont les bonnes informations qui nous manquent. » Au village, tout est parti du problème entre pasteurs et agriculteurs aggravé par les sécheresses : « Les bergers emmenaient les troupeaux dans les champs pendant les périodes de semis et de récolte. Cela a donné des conflits sanglants, meurtriers. Il fallait trouver une solution. » Un contrat est passé pour réguler les mouvements d’animaux et les pratiques agricoles. Une commission paritaire entre les deux parties est chargée de régler les litiges. « Puis nous avons eu l’idée d’organiser l’approvisionnement et la commercialisation au lieu se faire avoir par les commerçants et négociants. » Ainsi naît l’association des agro pasteurs de Sofara, transformée ensuite en coopérative. Dans la région, d’autres ont fleuri : « On a créé une coordination, puis une fédération nationale.” Celle-ci a mis en œuvre une programme de production de semences valorisant les ressources génétiques locales.

Le développement durable repose largement sur les femmes, Ousmane en est convaincu. Dans son organisation, elles sont en première ligne. Et ce n’est que rendre palpable l’invisible : « Dans nos sociétés, elles ont toujours dirigé les affaires mais sans apparaître. Elles sont derrière, tirent les ficelles. Elles sont très habiles pour faire cela, sans s’exposer. » Le femmes maliennes sont le pivot du tourisme rural dont Ousmane est le grand promoteur. Une formule lancée il y a 5 ans et qui rapporte à la base : « Il paye notre quote-part pour investir dans des pulvérisateurs, une moissonneuse batteuse, un magasin de stockage, des petits périmètres irrigués, etc. » Une centaine de voyageurs par an sont guidés à travers le pays dans un périple reliant les organisations paysannes. « Cela apporte la connaissance vraie. Dormir et manger chez les gens crée un sentiment de solidarité. Le tourisme rural apporte la promotion sociale dans la communauté de base. Il donne appui au pilier de la famille, qui est la femme, par l’éducation sanitaire et sociale. Et il suffit d’une pour entraîner les autres. »

© Dominique Martin – janvier 2010

Portrait à lire en intégralité ci-dessous :

 

 

Faliry Boly

BZ8A3027nbdetour BDcopieVie et luttes d’un paysan

Il est né en 1950 sur les rives du fleuve Niger à Ségou, la deuxième ville de son pays, le Mali. Tout près, dans le petit village de Molodo situé à cent dix kilomètres, Faliry Boly s’est installé voilà bien des années pour cultiver le riz. Aujourd’hui, il a gagné l’âge d’entrer dans le « vestibule des anciens » selon ses propres mots. L’antichambre des ancêtres qui en cette terre africaine ouvre le droit à la parole et à l’écoute. Invité ici en Europe par quelques associations, le paysan lettré à la voix douce et calme ne se prive pas de parler. Je le rencontre un mois à peine avant l’intervention française dans son pays. Il me parle « d’occupation » pour mieux marquer les esprits C’est tout le Nord, plus de la moitié du territoire du Mali, une zone désertique mais néanmoins peuplée, grande comme la France qui est passée sous la tyrannie d’un occupant. Ce qu’il raconte ressemble beaucoup à un exode. « Des millions de personnes sont descendues au Sud dans les villes non occupées et dans les villages. Là-bas il n’y a plus d’école, ni dispensaires, ni banques. La production de nourriture décline. » Derrière la dureté du moment, se cache une autre réalité, l’âpreté du quotidien d’un peuple en grande majorité tributaire de la terre, l’énergie de son combat et la fierté des victoires arrachées pour exister, vivre et prospérer. Faliry Boly en est le héraut, le messager.

Son grand-père fut berger. Lui n’aurait jamais dû devenir agriculteur. Dans l’ethnie de ses aïeux, les Peuls, le champ n’est jamais synonyme de labeur, mais de nourriture gratuite pour le bétail. « Mon père a été mis à l’école de force. » Tel était alors le destin d’un fils de chef. Il devint fonctionnaire pour obéir à la famille, et désobéir à la France. Faliry est guidé dans les traces du père. Il entame des études à Bamako, entre à l’Ecole normale supérieure. Mais la dernière année, il s’enfuit, véritablement. Il s’échappe en Côte d’Ivoire après un crochet au Libéria. Il s’embauche comme ouvrier et trime dans les rizières et les plantations de café. « La famille ne voulait pas que je m’installe en agriculture. Alors je suis parti. » Il revient pour devenir fermier. La famille le fait commerçant. A nouveau la fuite, Burkina, Côte d’Ivoire, Libéria, jusqu’en Sierra Léone où Faliry s’embauche sous terre, dans une mine de diamants. Finalement il s’installe en mai 1986 sur un peu plus de quatre hectares. Sur un territoire contrôlé par l’Office du Niger. « Il y avait des terres disponibles j’ai pu m’installer. » Dix années plus tard, en 1997, il sera placé à la tête du premier syndicat de producteurs jamais constitué sur ce périmètre d’un million d’hectares, dont cent mille sont aménagés en réseau d’irrigation gravitaire. Le Sexagon, Syndicat des exploitants agricoles de l’Office du Niger, dont les douze mille adhérents sont organisés en 243 comités villageois et cinq sections, parle depuis cette date par la voix de Faliry Boly, son secrétaire général.

Le syndicat est le commencement de luttes qui perdurent à ce jour. Dès sa création en 1997, les producteurs font face à des importations massives de riz. Chute des prix, mévente, le Sexagon sème la grève. Faliry et d’autres sont mêmes conduits en prison. Par la suite le syndicat fait reculer le gouvernement dans son projet d’accueillir un projet d’agrobusiness contrôlé par des capitaux libyens. Faliry est aujourd’hui secrétaire d’une association regroupant plus de deux cents organisations paysannes du pays (AOPP) et à la tête d’une « plate-forme nationale des riziculteurs » . Il y défend le développement d’une agriculture familiale, conduit par les paysans eux-mêmes.

© Dominique Martin – janvier 2013

L’article en intégralité à visualiser ci-dessous :

 

Mali

> Le chemin de liberté d’un paysan du Mali. Défiant la tradition de son ethnie et déjouant les vues de sa famille, cet homme aujourd’hui à l’aube de la soixantaine a pris en main son destin en devenant agriculteur. Producteur de riz sur la zone irriguée gérée par l’Office du Niger, il se retrouve rapidement à la tête du premier syndicat de producteurs jamais constitué sur ce périmètre d’un million d’hectares. Pour y mener des luttes qui perdurent à ce jour afin de développer et conforter une agriculture familiale. Découvrez son portrait ici

> Éleveur de la région de Mopti, il fut dès sa jeunesse un militant engagé pour la démocratie dans son pays.  Aujourd’hui il se bat pour préserver l’agriculture familiale et son modèle d’organisation de la société  face aux intrusions de l’agro business et des projets de cultures OGM. Il agit également pour faire exister et reconnaître l’œuvre collective des paysans maliens en organisant  la cohabitation entre éleveurs et cultivateurs ainsi que la production de semences à partir de ressources locales. Son témoignage ici