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Fati Ouédraogo

« La radio nous aide à résoudre les problèmes familiaux »

ep07-03« La radio nous aide beaucoup à faire la sensibilisation sur de nombreux thèmes. » Fati Ouédraogo est l’une des trois animatrices de l’unité d’appui à la promotion de la femme de la Fédération nationale des groupements Naam à Ouahigouya, au nord du Burkina Faso. A ce titre, elle est une des voix familières de « La voix du paysan », organe émetteur de la FNGN.

Fati Ouédraogo participe à l’émission de partage de vécu avec les auditeurs « pouiyam ». Ecoutez son témoignage.

Au Yatenga, La Voix du paysan est la radio la plus écoutée dans tous les foyers privés de journaux et de télévision, soit la majeure partie de la population.Elle stimule, porte, répand les nouvelles cent kilomètres à la ronde en mooré, fulfuldé, dogon, fulsé, dioula. Fati décrit ce média comme accessible à tous, sans distinction de niveau scolaire ou de richesse. Elle le considère comme un extraordinaire démultiplicateur d’actions locales capable de révéler les témoignages singuliers au plus grand nombre.

« Quand nous organisons une causerie dans un village, la radio nous suit. Elle enregistre puis diffuse, et tout le monde est à l’écoute. » Les sujets ne manquent pas : conduite de l’allaitement maternel, prévention du VIH, violences faites aux femmes à commencer par l’excision des filles, etc. Tous les jeudis soirs de 20 h à 22h30 et lundis de 14 à 16 h, Fati participe à l’émission « pouiyam » consacrée à tous les problèmes familiaux que « les gens gardent souvent pour eux ». Les auditeurs mettent par écrit leurs problèmes et adressent leur note aux animateurs. La lettre est lue sur le plateau à l’antenne. Les invités et Fati mais aussi les auditeurs réagissent en direct « pour donner des conseils ». Sur le terrain, dans les villages, des paysans sentinelles nommés « fidèles auditeurs » sont en première ligne pour réagir, appeler, écrire. Certains auditeurs se déplacent même en mobylette jusqu’au siège de la radio pour apporter leur message, témoigne Fati. Selon elle, la « Voix du paysan » est la radio de la région la plus écoutée.

Les créneaux les plus populaires sont de 18 h à 23 heures et le matin à 5h30 dès la reprise des émissions. Le poste de radio accompagne les paysans dans leurs tâches quotidiennes. Avec l’arrivée et la diffusion des téléphones portables, les programmes ont gagné en interactivité. La radio est également une occasion de rassemblement et d’attroupement dans les villages. Fati ne manque pas d’exemples vécus illustrant combien la radio interagit dans la vie même de ses auditeurs. Tel mari, qui a suivi les conseils donnés pour un autre, vit désormais en paix dans son ménage. Telle femme, dont l’époux est polygame, vit un peu mieux sa situation depuis qu’elle est accro à la radio. Selon Fati, les plaies comme l’excision, les mariages forcés régressent grâce à la sensibilisation. » Tout a diminué, mais ce qui demeure se fait « en cachette ». La radio participe elle à lever un coin du voile.

© Dominique Martin – février 2013

 

Pour les femmes : « Le changement viendra dans le temps »

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Bibata Kindo sensibilise les femmes des villages de Koumbri aux méfaits de l’excision depuis plus de 25 ans

 

 

 

 

 

Ecoutez son témoignage

Depuis 1986, Bibata Kindo rassemble, informe, soutient les femmes des seize villages de l’union Naam de Koumbri dans la province du Yatenga, région Nord du Burkina Faso. Animatrice féminine et productrice maraîchère Bibata Kindo est mariée et mère de quatre enfants. Améliorer les conditions d’existence des femmes fait partie du combat des paysans pour faire reculer l’insécurité alimentaire, l’ignorance et améliorer la santé des populations, insiste-t-elle. Bibata énumère l’incroyable inventaire d’activités exercées par les femmes. Economiques, sociales et environnementales, elles sont partout y compris dans les instances de gestion et de décision des structures créées par les paysans. « Le bureau de notre union compte treize membres dont sept femmes. »

Pour Bibata, la santé est à la base de tout. Sans elle, rien n’est possible. Elle la considère au sens très large, social, incluant le planning familial, les mariages forcés, l’excision et autres violences faites aux femmes. « Nous mettons aussi l’accent sur l’alphabétisation. » Pierre angulaire pour bâtir et gérer toute activité. L’animatrice suscite des causeries dans les villages sur des thèmes précis. L’un d’eux l’a fortement occupée et sans doute transformée : l’excision. Elle, comme la quasi totalité des femmes du Yatenga, l’ont subie. Une marque indélébile sur leur vie de femme, pratiquée à la petite enfance par l’exciseuse du village, par petits groupes de fillettes. Tout le travail de Bibata depuis vingt cinq ans est d’en souligner très concrètement les conséquences néfastes lors de causeries. Ainsi les femmes réalisent puis témoignent entre elles de leur vécu : infections, difficultés aux accouchements, dans le couple, dans les rapports avec son mari, etc. « Le problème du sexe est difficilement exprimé par les femmes. » En marge de l’entretien, Bibata avoue qu’elle aussi a dû apprendre à libérer la parole et désigner les choses par leur nom. La pratique de l’excision persiste aujourd’hui, reconnaît-elle, mais de façon cachée. Le rythme calme de sa voix s’accélère à mesure qu’elle évoque ce sujet, comme sous l’effet d’une colère rentrée. Les croyances sont tenaces. « Nos mères, grand mères et soeurs croient qu’il faut être excisée pour être digne. » Tant que les femmes non excisées restent minoritaires, elles sont gênées de l’afficher. Mais un jour elles seront la majorité : « Le changement va venir dans le temps », Bibata en est sûre. Les enfants en parlent à l’école. « Au début personne n’osait trop en parler avec eux. Maintenant nous sommes obligés de le faire. » Avec le planning familial aussi, pour espacer les naissances, « au début c’était très difficile. Les femmes craignaient qu’avec la contraception elles ne pourraient plus avoir d’enfant.». Maintenant il devenu pratique courante. En plus de la santé, l’animatrice appuie les femmes pour identifier les activités économiques qu’elles peuvent exercer et pour accéder au crédit. Cela passe par de la formation, souligne-t-elle, « afin de ne pas mettre en faillite la banque que nous avons nous-mêmes contribué à créer ».

De nouveaux problèmes ont surgi. Le changement climatique : « Nous pensions qu’il était derrière nous. » Il semblerait que, depuis la fin des années 2000, le régime des pluies soit devenu encore plus irrégulier. Les femmes sont concernées au premier plan car ce sont elles qui doivent aller puiser l’eau pour la famille. Les problèmes de santé s’amplifieraient. En cause, les sites aurifères. « Comme il n’a pas plu l’an dernier, même les femmes et les enfants sont allés là bas. » Ces sites deviendraient des foyers de développement de nombreuses maladies sexuellement transmissibles, du sida en particulier, ou d’autres liées à la poussière. « Et un lieu où il y a la drogue pour nos jeunes. »

Bibata soupire : « Il y a tellement de problèmes ». Son credo est désormais de ne plus travailler seulement avec les femmes mais avec les ménages. « Quand il n’y a pas d’entente dans le couple, on ne peut rien faire. » Complémentarité et solidarité, voilà ce qui manque encore aux hommes et aux femmes pour s’entendre. « Comment pouvons-nous développer nos communes et notre pays, si moi et mon mari nous ne pouvons pas nous asseoir pour discuter de toutes les choses de la famille. » Structures, projets individuels et collectifs, activités et jusqu’aux partenaires financiers, l’environnement des familles paysannes favorise plutôt la séparation que la collaboration. « On ne peut pas parler de développement sans entreprise familiale. C’est  la priorité. »

© Dominique Martin – février 2013