Tag Archives: dominique martin

A présent en bibliothèques

Déjà un mois de 2014 achevé et pas de nouvelles !

En voilà  donc de toutes fraiches.

Si les fêtes de fin d’année ont donné quelques ailes au Journal de campagnes dans les librairies où il a fait son nid, l’après fêtes d’emblée un peu morne ouvre enfin de nouvelles fenêtres au petit oiseau tout en plume.

Une poignée de bibliothèques de prêt lui offrent le gite et le recommandent à leurs lecteurs. Citons celle de la commune de Varades et la cryptolivre de la Rouxière en Loire Atlantique qui ouvrent, chacune dans sa périphérie, la voie d’une diffusion lente mais en profondeur dans les campagnes. Un grand merci à leurs bibliothécaires et responsables bénévoles.

Faisons mention spéciale de la médiathèque de l’Ecole supérieure d’Agriculture d’Angers, première à acquérir l’ouvrage. Elle nous a fait l’honneur de le mettre en exposition dans ses locaux du 20 au 31 janvier en compagnie de deux autres livres, le premier écrit par un autre ancien élève, le poète Henri Le Guen, le second par deux étudiants de cet établissement . Je ne résiste pas à l’envie de joindre ici une petite photo de l’événement que m’a très gentiment transmise la responsable de la médiathèque.

IMG_3549

A bientôt pour d’autres nouvelles

 

 

 

Ils arrivent, ils sont là !

BZ8A9169copieBDUne bonne nouvelle tant attendue. Mon imprimeur vient de livrer le premier lot de livres. Léger contretemps mais résultat impeccable. Vraiment l’objet n’a rien à envier à une production industrielle à grande échelle. Finition, papier, encrage, tout est parfait. Un grand merci à cette entreprise familiale bordelaise très abordable tant sur le plan humain que financier même pour des projets à tirage limité. Voici un lien vers son blog riche en infos pour tous ceux qui se lancent dans l’auto édition.

Pour ce qui est du contenu, n’hésitez pas à explorer l’onglet LIVRE du menu. Vous y découvrirez les descriptions de quelques-uns des personnages, dont la liste s’allonge peu à peu. Vous pouvez également y lire le texte de la quatrième de couverture  et une affichette de présentation. Ainsi que les modalités pour commander. Le livre est un ouvrage de pure écriture. Il ne comporte aucune photo laissant au lecteur le soin et la liberté de former ses propres images mentales au contact du texte. D’ici peu, je vous promets cependant quelques tableaux photographiques réalisés au cours des reportages réunis dans ce recueil.

A très bientôt pour d’autres nouvelles.

Fati Ouédraogo

« La radio nous aide à résoudre les problèmes familiaux »

ep07-03« La radio nous aide beaucoup à faire la sensibilisation sur de nombreux thèmes. » Fati Ouédraogo est l’une des trois animatrices de l’unité d’appui à la promotion de la femme de la Fédération nationale des groupements Naam à Ouahigouya, au nord du Burkina Faso. A ce titre, elle est une des voix familières de « La voix du paysan », organe émetteur de la FNGN.

Fati Ouédraogo participe à l’émission de partage de vécu avec les auditeurs « pouiyam ». Ecoutez son témoignage.

Au Yatenga, La Voix du paysan est la radio la plus écoutée dans tous les foyers privés de journaux et de télévision, soit la majeure partie de la population.Elle stimule, porte, répand les nouvelles cent kilomètres à la ronde en mooré, fulfuldé, dogon, fulsé, dioula. Fati décrit ce média comme accessible à tous, sans distinction de niveau scolaire ou de richesse. Elle le considère comme un extraordinaire démultiplicateur d’actions locales capable de révéler les témoignages singuliers au plus grand nombre.

« Quand nous organisons une causerie dans un village, la radio nous suit. Elle enregistre puis diffuse, et tout le monde est à l’écoute. » Les sujets ne manquent pas : conduite de l’allaitement maternel, prévention du VIH, violences faites aux femmes à commencer par l’excision des filles, etc. Tous les jeudis soirs de 20 h à 22h30 et lundis de 14 à 16 h, Fati participe à l’émission « pouiyam » consacrée à tous les problèmes familiaux que « les gens gardent souvent pour eux ». Les auditeurs mettent par écrit leurs problèmes et adressent leur note aux animateurs. La lettre est lue sur le plateau à l’antenne. Les invités et Fati mais aussi les auditeurs réagissent en direct « pour donner des conseils ». Sur le terrain, dans les villages, des paysans sentinelles nommés « fidèles auditeurs » sont en première ligne pour réagir, appeler, écrire. Certains auditeurs se déplacent même en mobylette jusqu’au siège de la radio pour apporter leur message, témoigne Fati. Selon elle, la « Voix du paysan » est la radio de la région la plus écoutée.

Les créneaux les plus populaires sont de 18 h à 23 heures et le matin à 5h30 dès la reprise des émissions. Le poste de radio accompagne les paysans dans leurs tâches quotidiennes. Avec l’arrivée et la diffusion des téléphones portables, les programmes ont gagné en interactivité. La radio est également une occasion de rassemblement et d’attroupement dans les villages. Fati ne manque pas d’exemples vécus illustrant combien la radio interagit dans la vie même de ses auditeurs. Tel mari, qui a suivi les conseils donnés pour un autre, vit désormais en paix dans son ménage. Telle femme, dont l’époux est polygame, vit un peu mieux sa situation depuis qu’elle est accro à la radio. Selon Fati, les plaies comme l’excision, les mariages forcés régressent grâce à la sensibilisation. » Tout a diminué, mais ce qui demeure se fait « en cachette ». La radio participe elle à lever un coin du voile.

© Dominique Martin – février 2013

 

Ousmane Barké Diallo

“Pour la démocratie, notre agriculture familiale et son organisation sociale”

IMG_2292recad BDcopieDe sa longue silhouette effilée, l’étranger avance d’un pas que rien ne presse. Engoncé dans la casquette chaude, noyé sous le blouson épais, il a cette présence discrète et anonyme de l’homme de passage, loin des terres et des visages connus. Je le rencontre en plein mois de novembre tandis qu’il court un marathon de conférences dans l’Ouest de la France. Un moment de liberté et de fierté pour ce paysan éleveur qui manie parfaitement la langue française que le colonisateur instilla en son pays.

Ousmane Barké Diallo est un agro pasteur, comme son père et son grand père le furent avant lui. Chez lui, le bétail vit en liberté et l’éleveur est celui qui suit le troupeau et qui ne revient pas. « Le Peul est un semi nomade qui fait puis qui défait la hutte de paille. C’est comme cela que mon grand père vivait. Nous ne vivons que par les animaux.» Ousmane, il cultive un peu : du riz, de l’arachide, du niébé. Son troupeau transhume au gré de la montée et de la descente des eaux dans le grand delta du fleuve Niger. Depuis quelques années, le pasteur est devenu un nomade des temps modernes, parcourant de nombreux pays, de l’Afrique à l’Europe, au gré des invitations. « Les gens que je vois ne sont pas assez informés de la réalité de mon pays. Je voudrais jeter un pont d’information et d’éveil pour échanger sur ce qui se passe chez vous et chez nous, à l’écart des grands manipulateurs à qui appartiennent la télé, les grands médias. »

En février, il fêtera ses 52 ans. Il sera chez lui au village de Sofara dans la Région de Mopti, au centre du Mali. Avec Kadidia son épouse et leurs enfants, trois filles et un garçon. « Nous avons 120 à 130 bêtes » confie-t-il en restant vague. Ce n’est pas dans l’habitude de décrire l’étendue de son troupeau. « Nous faisons des boeufs pour la traction, la boucherie et du lait.» Le lait est l’affaire de Kadidia. Seulement un à deux litres par jour et par vache selon la saison

Au Mali, le paysan vit de peu mais il est en marche pour améliorer et maîtriser son destin. Cela ne va pas sans heurts car ici, comme dans beaucoup de pays du Sud, le paysan est loin d’être une espèce protégée. Selon Ousmane, la grande menace immédiate est ce qu’il appelle l’agro business. Non par idéalisme, mais pour tout ce que cela peut détruire : « Notre environnement, nos variétés locales, le principe de produire nos propres semences. Et si demain nous ne pouvons plus payer ces semences brevetées, ce sera l’accaparement de nos terres, la destruction de la cellule familiale et la reprise de l’émigration vers la ville ou l’Europe. » Ce progrès là, Ousmane n’en veut pas : « Chez nous l’exploitation familiale ce n’est pas que la production mais toute une organisation sociale autour de gens qui se connaissent. » Ce n’est pas le premier combat du pot de terre contre le pot de fer sur la terre d’Ousmane. En 1968, il a dix ans quand son monde bascule dans la dictature, huit années seulement après l’indépendance. A cette époque, Ousmane est étudiant à Bamako. Ses parents l’ont envoyé suivre une formation d’inspecteur en assurance, métier qu’il ne pratiquera jamais. Il milite comme beaucoup de jeunes en révolte dans les mouvements clandestins. Puis il revient militer dans la principale association clandestine, l’Alliance pour la démocratie. Associée à d’autres mouvements de résistance, elle finit par faire écrouler le régime le 23 mars 1991. A la veille des élections de 1997, il quitte définitivement Bamako. «Mon père est décédé. Il n’y avait plus d’homme à la maison. J’ai décidé que c’était à moi de revenir. »

Aujourd’hui Ousmane est le chef de sa famille : « Je suis le plus âgé. » Tout ce qu’il a appris dans sa jeunesse sur le moyen de dynamiser les hommes, il l’a mis dans son combat pour le développement. Le monde paysan a sa propre capacité de mouvement. Même de faibles moyens y ont de grande chance de porter au but, soutient Ousmane. « Ce n’est pas aux autres de nous développer. Nous connaissons nos problèmes. Ce sont les bonnes informations qui nous manquent. » Au village, tout est parti du problème entre pasteurs et agriculteurs aggravé par les sécheresses : « Les bergers emmenaient les troupeaux dans les champs pendant les périodes de semis et de récolte. Cela a donné des conflits sanglants, meurtriers. Il fallait trouver une solution. » Un contrat est passé pour réguler les mouvements d’animaux et les pratiques agricoles. Une commission paritaire entre les deux parties est chargée de régler les litiges. « Puis nous avons eu l’idée d’organiser l’approvisionnement et la commercialisation au lieu se faire avoir par les commerçants et négociants. » Ainsi naît l’association des agro pasteurs de Sofara, transformée ensuite en coopérative. Dans la région, d’autres ont fleuri : « On a créé une coordination, puis une fédération nationale.” Celle-ci a mis en œuvre une programme de production de semences valorisant les ressources génétiques locales.

Le développement durable repose largement sur les femmes, Ousmane en est convaincu. Dans son organisation, elles sont en première ligne. Et ce n’est que rendre palpable l’invisible : « Dans nos sociétés, elles ont toujours dirigé les affaires mais sans apparaître. Elles sont derrière, tirent les ficelles. Elles sont très habiles pour faire cela, sans s’exposer. » Le femmes maliennes sont le pivot du tourisme rural dont Ousmane est le grand promoteur. Une formule lancée il y a 5 ans et qui rapporte à la base : « Il paye notre quote-part pour investir dans des pulvérisateurs, une moissonneuse batteuse, un magasin de stockage, des petits périmètres irrigués, etc. » Une centaine de voyageurs par an sont guidés à travers le pays dans un périple reliant les organisations paysannes. « Cela apporte la connaissance vraie. Dormir et manger chez les gens crée un sentiment de solidarité. Le tourisme rural apporte la promotion sociale dans la communauté de base. Il donne appui au pilier de la famille, qui est la femme, par l’éducation sanitaire et sociale. Et il suffit d’une pour entraîner les autres. »

© Dominique Martin – janvier 2010

Portrait à lire en intégralité ci-dessous :

 

 

Pour les femmes : « Le changement viendra dans le temps »

ep06_06

Bibata Kindo sensibilise les femmes des villages de Koumbri aux méfaits de l’excision depuis plus de 25 ans

 

 

 

 

 

Ecoutez son témoignage

Depuis 1986, Bibata Kindo rassemble, informe, soutient les femmes des seize villages de l’union Naam de Koumbri dans la province du Yatenga, région Nord du Burkina Faso. Animatrice féminine et productrice maraîchère Bibata Kindo est mariée et mère de quatre enfants. Améliorer les conditions d’existence des femmes fait partie du combat des paysans pour faire reculer l’insécurité alimentaire, l’ignorance et améliorer la santé des populations, insiste-t-elle. Bibata énumère l’incroyable inventaire d’activités exercées par les femmes. Economiques, sociales et environnementales, elles sont partout y compris dans les instances de gestion et de décision des structures créées par les paysans. « Le bureau de notre union compte treize membres dont sept femmes. »

Pour Bibata, la santé est à la base de tout. Sans elle, rien n’est possible. Elle la considère au sens très large, social, incluant le planning familial, les mariages forcés, l’excision et autres violences faites aux femmes. « Nous mettons aussi l’accent sur l’alphabétisation. » Pierre angulaire pour bâtir et gérer toute activité. L’animatrice suscite des causeries dans les villages sur des thèmes précis. L’un d’eux l’a fortement occupée et sans doute transformée : l’excision. Elle, comme la quasi totalité des femmes du Yatenga, l’ont subie. Une marque indélébile sur leur vie de femme, pratiquée à la petite enfance par l’exciseuse du village, par petits groupes de fillettes. Tout le travail de Bibata depuis vingt cinq ans est d’en souligner très concrètement les conséquences néfastes lors de causeries. Ainsi les femmes réalisent puis témoignent entre elles de leur vécu : infections, difficultés aux accouchements, dans le couple, dans les rapports avec son mari, etc. « Le problème du sexe est difficilement exprimé par les femmes. » En marge de l’entretien, Bibata avoue qu’elle aussi a dû apprendre à libérer la parole et désigner les choses par leur nom. La pratique de l’excision persiste aujourd’hui, reconnaît-elle, mais de façon cachée. Le rythme calme de sa voix s’accélère à mesure qu’elle évoque ce sujet, comme sous l’effet d’une colère rentrée. Les croyances sont tenaces. « Nos mères, grand mères et soeurs croient qu’il faut être excisée pour être digne. » Tant que les femmes non excisées restent minoritaires, elles sont gênées de l’afficher. Mais un jour elles seront la majorité : « Le changement va venir dans le temps », Bibata en est sûre. Les enfants en parlent à l’école. « Au début personne n’osait trop en parler avec eux. Maintenant nous sommes obligés de le faire. » Avec le planning familial aussi, pour espacer les naissances, « au début c’était très difficile. Les femmes craignaient qu’avec la contraception elles ne pourraient plus avoir d’enfant.». Maintenant il devenu pratique courante. En plus de la santé, l’animatrice appuie les femmes pour identifier les activités économiques qu’elles peuvent exercer et pour accéder au crédit. Cela passe par de la formation, souligne-t-elle, « afin de ne pas mettre en faillite la banque que nous avons nous-mêmes contribué à créer ».

De nouveaux problèmes ont surgi. Le changement climatique : « Nous pensions qu’il était derrière nous. » Il semblerait que, depuis la fin des années 2000, le régime des pluies soit devenu encore plus irrégulier. Les femmes sont concernées au premier plan car ce sont elles qui doivent aller puiser l’eau pour la famille. Les problèmes de santé s’amplifieraient. En cause, les sites aurifères. « Comme il n’a pas plu l’an dernier, même les femmes et les enfants sont allés là bas. » Ces sites deviendraient des foyers de développement de nombreuses maladies sexuellement transmissibles, du sida en particulier, ou d’autres liées à la poussière. « Et un lieu où il y a la drogue pour nos jeunes. »

Bibata soupire : « Il y a tellement de problèmes ». Son credo est désormais de ne plus travailler seulement avec les femmes mais avec les ménages. « Quand il n’y a pas d’entente dans le couple, on ne peut rien faire. » Complémentarité et solidarité, voilà ce qui manque encore aux hommes et aux femmes pour s’entendre. « Comment pouvons-nous développer nos communes et notre pays, si moi et mon mari nous ne pouvons pas nous asseoir pour discuter de toutes les choses de la famille. » Structures, projets individuels et collectifs, activités et jusqu’aux partenaires financiers, l’environnement des familles paysannes favorise plutôt la séparation que la collaboration. « On ne peut pas parler de développement sans entreprise familiale. C’est  la priorité. »

© Dominique Martin – février 2013

 

 

Commander le livre

couv recto BDcopieVous désirez acquérir le livre ?

Il est disponible en commande directe auprès de l’auteur au prix de 19 euros (hors frais d’envoi).

Pour ce faire, rien de plus simple.

Il vous suffit d’adresser un courriel à l’adresse suivante :

contact@journaldecampagnes.fr

Précisez votre nom, votre pays et le nombre d’exemplaires que vous souhaitez.

Vous recevrez un courriel de réponse vous indiquant le coût d’envoi total du nombre d’exemplaires souhaité, ainsi que l’adresse où envoyer votre chèque et à quel ordre le libeller.

Il vous suffira de rédiger le chèque et de l’envoyer par courrier postal en précisant l’adresse de destination si elle est différente de celle figurant sur le chèque. Dès réception, nous procéderons à l’expédition.

A vous de jouer !

 

 

 

 

 

 

L’auteur

Dominique Martin est né en 1963 à Colmar. A l’âge de dix-huit ans, il quitte son Alsace natale pour les bocages de l’ouest de la France où il entreprend d’étudier l’agriculture. Jeune ingénieur de l’ESA d’Angers, il migre en Provence et crée la première revue technique consacrée à l’agriculture biologique. Pigiste pour plusieurs titres de la presse agricole nationale, il participe au lancement d’un magazine régional destiné aux agriculteurs lorrains et alsaciens. Enfin, il prend en charge et développe la revue mensuelle d’une des plus grandes coopératives agricoles françaises.

Personnages du livre

Tous les personnages dont parle ce livre sont réels. Les rencontres  se sont étalées sur vingt ans.

Presque tous sont de parfaits inconnus en dehors de leur environnement local. Dans le livre, ils sont désignés par leurs prénoms .

Seule la quatrième et dernière partie du livre passe en revue une poignée de personnalités célèbres pour avoir semé, chacune à sa façon, un regard nouveau et différent sur nos campagnes.

Voici quelques uns d’entre eux.

 

Alexandre

alexandre1 BD1copie copiePersonnalité  emblématique, il lui appartient d’ouvrir ce florilège et le livre. Quand je le rencontre en 1991 il approche doucement des quatre-vingts ans. Sa vie d’agriculteur, d’homme engagé vers le progrès, est déjà bien derrière lui. Il a laissé la ferme bâtie année après année à son fils. Alexandre et sa femme vivent dans la petite maison tout en granite qu’il a construite, lui-même, en la taillant pierre après pierre. Caractère dur, droit mais humble, marqué au coin de la religion. Alexandre a toujours vécu là, dans son petit village breton au coeur du Morbihan. Il a très peu voyagé, sauf dans le temps. En lui, le monde est resté le même. L’univers de son enfance ne l’a jamais quitté. C’est ce pays  intérieur qu’il a décidé de rejoindre avant de s’éteindre lui aussi. Maison après maison, le paysan a reconstruit son village, le monde tel qu’il le découvrit et l’imprima dans ses yeux de petit garçon. Ce pays miniature très animé dont il est le géant bienveillant est devenu son ultime activité. Aujourd’hui le village a déménagé à quelques kilomètres dans un parc d’attraction et Alexandre n’est plus là pour le faire visiter et lui donner vie. Son œuvre témoigne de la puissance des mondes intérieurs chez ces hommes du vingtième siècle, sur lesquels les temps nouveaux qui nous gouvernent n’ont aucune prise.

Henri

Autre personnage phare, Henri paysan né de l’Anjou au tout début du siècle, le précédent, l’a quitté cent-un ans plus tard, une fois le suivant bien entamé. Un demi-siècle coule avant que l’envie ne lui vienne d’écrire le roman de sa vie. Vingt-quatre livres ! Pas mal pour un paysan dont le labeur fut la seule école et qui n’eut même pas son certificat d’études. Enfant, il travaille en ferme dès l’âge de six ans. Adulte, il devra plusieurs fois reconstruire sa vie en partant de zéro. Son histoire est le récit de la quête de liberté d’un homme né sans bagage ni fortune autres que le courage et la plume.

Jules, Jean, Gaston

Ils sont les derniers artisans de leur art. Deux tonneliers, un bosseleur. Jules, Jean et Gaston sont les détenteurs d’un savoir-faire global, entier et perpétuellement créatif. Les objets de facture complexe dont ils ont le secret allient le souci de la perfection à celui de l’utilité. Ces hommes ont construit leur vie en affinant et élargissant leurs capacités. A la rigueur du travail bien fait, ils ajoutent le sens de la fantaisie et des prouesses. Ultimes témoins d’un monde pré-industriel.

Mireille

Avec elle, changement de siècle. Mireille fut institutrice avant de devenir agricultrice. Puis écrivain public en son pays. Pour cette fille d’ouvriers venue à  la campagne avec l’homme de sa vie, c’est le début d’une nouvelle existence tournée vers les autres qui la plonge au cœur de celles des autres. En écrivant le roman de familles éparpillées, elle évite qu’il ne sombre dans l’oubli et retisse des liens rompus entre générations.

Pierre

Pierre comme Mireille et d’autres, fait partie des personnages miroirs. Ce paysan savoyard venu à la photographie en campagne via les ciné-clubs a capté en d’éphémères instants la vérité d’un temps et de ses habitants. Le travail de toute une partie de sa vie, dont la matière noire et blanche tirée et révélée de toutes ces existences finit par donner forme à la sienne. Son œuvre épurée en trois cents photographies qu’il a mûrement choisies se confond avec l’accomplissement d’un homme cheminant vers son propre achèvement. Photojournaliste d’une époque révolue, Pierre finit par raccrocher ses appareils pour, trente ans plus tard, retrouver ceux qu’il avait capturés en son œil mais perdus de vue.

Joseph et Albert

Rien ne relie Albert et Joseph si ce n’est leur intimité avec un monde invisible et inaudible, inexistant au regard de tous les autres. Ils en sont les intercesseurs. Joseph exerce ses pouvoirs de sourcier en toute discrétion dans un petit pays d’élevage de l’Anjou, où la foi dans le progrès technologique et le béton n’empêchent nullement de s’en remettre à la valse du pendule. Il exerce son don en toute humilité, entraîné par les courants qui l’emportent, explorant par la surface des paysages souterrains dont lui seul admire et éprouve les champs de forces. Albert a d’autres pouvoirs non moins fantastiques. Cet architecte d’un petit pays breton transcrit par le dessin et toute autre façon d’enregistrer ce que lui confessent les objets du passé. Tandis qu’il met à nu et couche sur papier, portes ou poignées de maisons, fours à pains, loquets et autres articles de quincaillerie ancienne, jusqu’aux bancs de ferme, tout ce petit mobilier d’un monde condamné au silence chuchote à son oreille d’intimes secrets sur ceux qui le fabriquèrent.

Émile

La fugacité est le drame de toute chose qu’il nous est donné de percevoir. Plusieurs des passagers du livre, au soir de leur existence, tentent de s’y opposer, non pour se sauver eux mais le monde qui les a faits. Le héros d’entre tous est Émile. Cet homme vécut dès l’enfance au plus près de machines dont l’inhumaine mécanique martèle d’effroyables cliquetis le décompte de notre vie. Émile donna toute la sienne à les graisser et remonter, à corriger leurs caprices. Si bien, si fort, qu’il en tomba amoureux. Elles aussi furent frappées de ce mal dont elles avaient la charge religieuse de scander les coups de faucille jusqu’au plus profond des campagnes. Les horloges mécaniques de nos clochers connurent déchéance et oubli. Le cœur d’Émile ne put cesser de battre, lui horloger de son pays, après son père et son grande-père. Il se mit à sauver de vieilles compagnes, les soigner dans son atelier chirurgical. Et avec elles, tout le savoir-faire déchu qui lui échut. Par ses doigts experts, Émile devint un de ces artistes dont le génie est de boucher le trou par où le temps s’enfuit.

Jacqueline, Ginette, Betty, Catherine, Béatrice, Solange, Patricia, etc.

En campagne, rares sont les femmes qui tiennent le devant de la scène. Quelques unes sont en première ligne. La plupart sont des femmes de l’ombre. Une des quatre parties du livre  est entièrement consacrée à ces invisibles.  Issues de familles d’agriculteurs, elles ont souvent tout fait pour  échapper à ce monde de labeur, dissuadées par leurs propres mères. Elles y sont revenues en épousant l’homme, son métier et la belle famille. Quatre générations de femmes livrent chacune leur histoire, ses heurts, leurs batailles. Nous les accompagnons aussi en leur foyer,  l’univers féminin des fourneaux, territoire de liberté où, se réappropriant les nourritures issues de la ferme, elles ont toute capacité d’exercer sens pratique et créativité débridée.

Eugène

eugène2 BDEugène aurait cent ans cette année 2013. Je le rencontre il y a plus de vingt ans dans sa maison atelier au sein d ‘un bourg de campagne. Au bout de son pinceau, il croque la vie telle qu’elle s’imprima en lui , scènes fugaces des forêts de toujours, théâtre et bestiaire changeant des fermes en mouvement d’hier à aujourd’hui. La vie rurale et sa part animale furent omniprésentes dans son existence, compagnes dont il n’eut de cesse d’observer toutes les formes anatomiques. Petit garçon , ce fils d’artisan découpait des vaches blanches et noires dans le carton et boudait l’école pour les garder dans sa «prairie», sous la corde à linge de sa mère. Ce sera toute sa vie de fabriquer la vache parfaite. Le paysage des fermes laitières de sa région en sortira bouleversé. Il commence dès les années trente. A moins de 24 ans, il créé un syndicat de contrôle laitier et beurrier  de Loire Inférieure dont il est le premier et seul contrôleur. Le jeune ingénieur arpente le département à vélo. Il a bien du mal à réunir les trente élevages nécessaires à sa survie financière. Sa mère lui avance son mois pour payer son logement car souvent les fermes sont trop exiguës pour l’héberger.  Fin 1938, il ne contrôle encore que soixante vaches . Le contrôleur assiste aux deux voire trois traites quotidiennes. Il vérifie les naissances, enregistre les quantités individuelles, prélève des échantillons et les analyse sur place, au moyen d’un écrémeuse portative glissée dans l’une des deux caisses équipant son vélo. Dans ses bottes qu’il est un des rares à porter, il conseille également les éleveurs sur la sélection, l’alimentation et l’hygiène du troupeau. A la veille de l’Occupation, il visite vingt-neuf fermes pour quatre cents vaches. Presque les trente nécessaires. Ce nombre parce que le mois a trente jours et que chaque visite mensuelle prenait bien une journée. Au début des années cinquante, il n’est plus seul à visiter vaches et éleveurs. Devenu secrétaire du contrôle laitier et de la fédération des producteurs, Eugène parcourt désormais la campagne au volant de son camion-laboratoire équipé pour «la recherche des laits de qualité et l’éducation du producteur». Il projette des films et anime une équipe de femmes en blouses blanches montrant comment récolter un lait propre. Mais il a autre chose en tête. Dès la fin des années quarante, il prêche en faveur de l’insémination artificielle qui à l’époque est balbutiante en France. Accroître la production laitière des vaches, passe par des géniteurs sélectionnés plutôt que le taureau de passage. Depuis Nantes, Eugène organise la commande et l’acheminement des premières semences récoltées à Rennes. Puis il va diriger le premier centre de production de taureaux sélectionnés de Loire Atlantique dont il dessine lui-même  les plans. Le centre et Eugène seront les grands artisans de la diffusion de la race frissonne dite hollandaise dont les taureaux pie-noir d’origine étaient issus des provinces de Hollande. La vache laitière d’avenir dont Eugène tombe amoureux dès 1935  dans l’Oise. Dans cette région alors très laitière, le jeune homme découvrit des bêtes qui au lieu d’être décousues de forme,  étaient toutes bien rassemblées, profondes, épaisses, avec un bassin régulier et de la mamelle, selon ses propres termes et souvenirs. Cette vache rebaptisée Française Frisonne Pie-Noir puis absorbée dans le rameau holstein finira par supplanter les anciennes races  laitières dans tout l’ouest de la France. Ingénieur au service du progrès, Eugène gardera en lui toute la majesté de ces nantaises, maraichines et autres normandes qui pour l’éternité peuplent ses toiles.

Sophie

Il était une fois une noble bergère. Courageuse et fière. Une travailleuse du bois, foudroyée, aux jambes devenues pierre. Debout par la force des êtres qui lui sont chers. Chiens de haut lignage élevés au rang de frères. Brebis de race ressuscitée par ses ancêtres, source et but d’un retour à la terre. Sophie est une femme au parcours et à la volonté hors du commun, éleveuse pour l’amour des bêtes, sans cesser de croire en l’humaine entraide.

 

Bientôt la suite