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La vache rouge va-t-elle détrôner l’éléphant d’Afrique ?

 

Mich-Hrzn148 Lion vestige web

C’est un temps que les moins de vingt mille ans ne peuvent pas connaître. Le locataire du dessous, solitaire irascible, était un vieil ours des cavernes qui ronflait comme cent chasseurs rompus et repus. Sur la pelouse d’en face, de gros moutons non sans défense, des mammouths laineux, s’en mettaient plein la panse. Quand sous les frondaisons, les gangs d’aurochs peu farouches et de bisons fougueux se crêpaient la tignasse pour la moindre parcelle d’ombre. Tout cela sous l’œil félin de terribles bandits embusqués, megantereons et homotheriums, de féroces tigres à dents de sabre, Cinonyx pardinensis et Panthera gombaszoegensis, le guépard géant d’Eurasie et son rival le jaguar européen, sans oublier le roi incontesté, sa monstrueuse majesté le lion des cavernes avec son énorme gueule. Toute cette mégafaune glaciaire a fondu comme neige au soleil. Elle n’est plus qu’un maigre paquet d’os sous les vitrines. En France des géants du passé, il nous reste bien quelques troupes de mignonnes bêtes à cornes bien dociles, des rescapées du néolithique maternées par leurs éleveurs, mais certains déjà, au nom des lois de l’évolution morale, verraient bien ces «bêtes à steaks» rangées au registre des espèces en voie d’extinction. Ailleurs, éléphants, rhinocéros, girafes, tigres, panthères et lions, les ultimes grands mammifères survivants encore libres, sont eux bien menacés d’extinction sauvage. Rien de neuf sous les tropiques, en fait. Le compte à rebours s’est mis en route il y a des dizaines de milliers d’années sans que rien ne l’arrête. Notre espèce en est la cause. C’est ce que révèle une étude conduite par quatre universités américaines emmenées par une équipe du département de biologie de l’University of New Mexico à Albuquerque. Elle commence juste après l’extinction des dinosaures, il y a un peu plus de 65 millions d’années. Durant cet âge d’or des mammifères, ce sont les espèces de petite taille qui tendent à disparaître. L’extension des prairies, la glaciation démarrée il y a trente-cinq millions d’années, jouent en faveur des bestiaux de grande taille. Cependant le sablier commence à s’inverser il y a 2,5millions d’années. Au Pléistocène, les grands animaux régressent puis les géants s’éteignent les uns après les autres à la surface du globe. Hors l’Afrique, ne survivent que des espèces miniatures, modèles réduits de leurs ancêtres. Le soleil ou la pluie n’y sont pour rien. L’expansion de l’humain pour beaucoup selon les chercheurs. Néandertaliens, Dénisoviens, Sapiens pour finir le boulot, sur les 125 000 ans passés, au fil des migrations et de leur prolifération, les groupes humains règlent leur sort à tous les grands animaux, montre cette étude. Le chrono tourne toujours. Les scientifiques se sont projetés deux cents ans dans l’avenir. A cette échéance, le plus gros mammifère à fouler le plancher des vaches sera… la vache justement. Parions qu’il s’agira d’un mâle de race rouge des prés, fierté du Maine et de l’Anjou. En ce 21ème siècle, certains spécimens trônent comme les bovins les plus lourds du monde. Lui affichait 1950 kg à la pesée. C’était en février 2016 au salon de l’Agriculture. Le pachyderme élevé à La Marolle-en-Sologne dans le Loir-et-Cher, détrônait alors un autre éléphant de même race appelé«Royal», détenteur du record mondial depuis 1988 avec 1 932kg. Fêtard, ainsi s’appelait le mastodonte de deux tonnes, ne fêta guère longtemps son titre. On le retrouva mort en septembre de la même année après s’être coincé accidentellement la tête dans une barrière. Le fragile malabar n’avait que six ans. Très doux, il avait vu le jour dans le berceau de la race, à La Jubaudière en Maine-et-Loire. Qui sait si dans deux siècles, après le grand réchauffement, les éleveurs du secteur proposeront des «écolo safaris» dans la savane angevine pour touristes avides de découvrir, encore en chair et en os, les derniers géants de la Terre.

Dominique Martin

Juin 2018