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Khmer sage

son soubert BDUn homme âgé au regard doux, presque effacé, en costume simple, parlant français d’une voix calme et amicale. Son Soubert est une figure de son pays, le Cambodge. Avalé par le tourbillon de l’histoire de son peuple, cet homme de 70 ans aujourd’hui a passé sa vie à l’interface entre les mondes. Enseignant à la faculté d’archéologie, le vieux professeur d’histoire de l’art rêve d’un Cambodge réconcilié avec ses valeurs de civilisation. Je le rencontre en 2008 lors d’un passage en France, pays frère où il fit toutes ses études,  terre d’asile où plus tard il vécut en exil.

Son Soubert vit aujourd’hui à Phnom Penh, sans épouse ni enfant. Sa vie tumultueuse ne lui en a pas laissé le temps. Il est membre du Conseil constitutionnel où il a succédé à Son Sann, son père. Depuis toujours Son Soubert vit dans le sillage de ce père illustre, décédé en 2000. Son Sann fut le premier cambodgien diplômé de l’école des Hautes Etudes commerciales (HEC) à Paris avant de créer et gouverner la banque nationale du royaume à la demande du roi Norodom Sihanouk. En 1967, il devint son premier ministre jusqu’au coup d’état qui renversa le monarque trois années plus tard. En 1991, le père et le fils ont retrouvé leur capitale après quinze années de guerre civile puis de combat contre l’occupation vietnamienne. Par chance, San et Soubert sont en France en avril 1975, lorsque Phnom Penh tombe aux mains des partisans de Pol Pot. Pour survivre, Soubert devient épicier. Son frère, son beau-frère et lui tiennent une petite supérette familiale à Nice. Peu à peu, il se retrouve entraîné dans le combat politique de son père.« Nous avons créé l’association des Khmers à l’étranger pour être la voix des cambodgiens prisonniers. Nous n’étions pas autorisés à faire de la politique . On devait se borner à organiser des manifestations culturelles. » Sous cet écran de danses folkloriques, l’argent récolté est envoyé à la frontière cambodgienne en soutien aux populations réfugiées et à la guérilla anti khmer rouge. En 1979, après l’invasion du pays par le Vietnam, Son et Soubert rejoignent clandestinement la résistance à la frontière thaïlandaise. Tandis que le père prend la tête de la guérilla nationaliste et crée le front national de libération du peuple Khmer, le fils tente de venir en aide aux réfugiés toujours plus nombreux à la frontière.

Son Soubert incarne une parole libre et critique. Il en a payé le prix. Menacés de mort, son père et lui furent visés dans plusieurs attentats. En 1995, une grenade explose au quartier général de leur parti. Soubert écope d’un éclat qu’il porte en lui depuis. Dans ce pays dont l’aide internationale alimente 50 % du budget de l’état, le développement se fait au détriment des pauvres et des campagnes qui représentent 80 % de la population dénonce Son Soubert. Le problème numéro un est celui du foncier. « Les autorités militaires et gens hauts placés s’arrogent les terres de la population rurale et des hauts plateaux. » Au Cambodge, 90 % des agriculteurs n’ont pas de titre de propriété sur les terres qu’ils occupent. Ce qui les rend très vulnérables. « Les terres sont achetées à travers les autorités locales » conduisant ainsi à leur confiscation, aux expulsions ou au versement de loyers exorbitants. Cette mainmise sur le foncier profite à quelques élites liées au pouvoir.  « Le régime est basé sur la corruption et un pouvoir militaire dissolu qui se comporte comme des chefs mafieux. Il n’y a pas de transparence. Tout le monde se méfie et le népotisme galope dans tout le pays via un tissu d’organisations familiales. » Ainsi, la forêt a été mise en coupe réglée. Le couvert forestier du pays a été amputé de 40 % en 20 ans par l’attribution de concessions économiques à quelques grandes sociétés. Le boom de la construction dans les villes décuple les prix des terres alentour et cette spéculation permet le blanchiment d’argent sale : prostitution organisée, trafic de personnes, de stupéfiants, d’oeuvres d’art. Près de la Thaïlande, « des terres ont été confisquées pour construire d’immenses casinos qui servent au blanchiment.»

Depuis son retour à Phnom Penh, Son Soubert oeuvre à la réhabilitation de l’individu. De 1991 à 1993, il est membre du comité de rapatriement des 350 000 réfugiés massés à la frontière thaïlandaise: « Il était question d’allouer 2 ha à chaque famille mais l’Onu n’a pas été très élégant. Pour accélérer les choses, ils ont promis 50 dollars par couple et 25 par enfant. Les gens sont rentrés et l’argent a rapidement été dépensé. » Le pays ne compte alors aucun centre d’accueil. Son Soubert et son père achètent un terrain de 10 ha en périphérie de la capitale. Un abri est construit et, en 1994, ils inaugurent l’orphelinat de Sre Ampil. Un second ouvre l’année suivante dans la province de Battambang au nord ouest où sévit le trafic d’enfants pour l’adoption : « Des mères vendent leurs enfants pour 50 dollars. Cela continue aujourd’hui. » Pour les enfants de Son Soubert, pas d’adoption possible : « Il est plus bénéfique à l’avenir des enfants et de mon pays que nous les éduquions ici en leur proposant des possibilités de formation professionnelle. »

© Dominique Martin – janvier 2008

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