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Les oublié(e)s de la chaîne alimentaire mondiale

 

Ils, elles nous nourrissent mais souffrent souvent de la faim. L’ONG Oxfam International dresse cet été un bilan planétaire des distorsions induites par le système alimentaire mondial. Les auteurs de l’étude « Derrière le code-barres, des inégalités en chaînes! » montrent que pour douze produits mondialisés, les producteurs ne dégagent pas un revenu suffisant dans leur pays « pour leur procurer un niveau de vie décent et respectueux des droits humains » Douze produits issus de matières premières agricoles et de la pêche importés de pays émergents: avocats (Pérou), bananes (Équateur), thon en conserve (Thaïlande), cacao (Côte-d’Ivoire), café (Colombie), raisin (Afrique du Sud), haricots verts (Kenya), jus d’orange (Brésil), riz (Thaïlande), crevettes (Vietnam), thé (Inde), tomates (Maroc). Quand un Américain ou un Européen achète pour cent dollars de ces douze produits, les paysans à l’autre bout de la chaîne ne perçoivent que 6,7% de cette valeur. Au Kenya, les producteurs de haricots verts vivent avec un revenu inférieur de moitié au revenu vital nécessaire dans leur pays. Plus démunies parmi les plus pauvres sont les paysannes et les salariées agricoles. Les femmes portent en effet le plus lourd fardeau, le système alimentaire mondial exploitant largement leur travail. Celles qui s’échinent dans les exploitations fournissant les douze produits d’importation, tirent un revenu qui, en moyenne, n’équivaut qu’à 55% du minimum vital pour espérer vivre décemment. Celui des hommes est à 71% de ce seuil. En 2017, l’organisation a conduit dans cinq pays des enquêtes directes auprès de centaines de paysans et travailleurs. La majorité des personnes interrogées se trouvaient en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave. En Afrique du Sud, plus de 90% des femmes interrogées travaillant dans des exploitations de raisin ont déclaré ne pas avoir eu assez à manger au cours du mois écoulé. Pour un tiers, elles-mêmes ou un membre de leur famille avaient dormis au moins une fois le ventre vide. Aux Philippines, presque trois paysannes productrices de bananes sur quatre ont avoué leurs soucis pour nourrir leur famille. Plus près, en Italie, 75% des femmes travaillant dans des exploitations de fruits et légumes ont déclaré elles ou des membres de leur famille, restreindre le nombre de repas faute de pouvoir acheter suffisamment de nourriture. En Thaïlande, plus de neuf travailleurs sur dix rencontrés dans les usines de transformation de fruits de mer ont dit avoir souffert de la faim récemment. Plus de la moitié étant des femmes qui n’avaient rien à manger chez elles plusieurs fois dans le mois écoulé. Les auteurs ont calculé qu’une employée d’usine de transformation de la crevette en Thaïlande devrait travailler plus de cinq mille ans pour arriver au salaire annuel d’un directeur de supermarché américain. Selon l’ONG Oxfoam, le seul remède pour des centaines de millions d’agriculteurs et d’éleveurs serait de rééquilibrer drastiquement les relations commerciales entre les paysans et la grande distribution à l’échelle de la planète. Le commerce mondial n’en prend point le chemin. Sur les douze produits, certains ont subi un recul vertigineux des prix à l’exportation. Le haricot vert du Kenya aurait perdu les trois quarts de sa valeur en vingt ans. Le jus d’orange brésilien presque autant. Il y deux décennies, les producteurs des douze produits touchaient encore près de neuf dollars sur cents payés par les consommateurs occidentaux. L’Ougandaise Winnie Byanyima, directrice générale d’Oxfam International, et par ailleurs diplomate et ingénieure en aéronautique, garde la foi en préambule de cette étude. Face aux dizaines de milliards de dollars ou d’euros de revenus que l’alimentation mondiale génère chaque année, dont «les puissants récoltent de plus en plus les fruits (…) tandis que la part réservée aux producteurs est semblable à une véritable peau de chagrin», elle plaide pour «une autre façon de faire des affaires, bâtie sur le respect des droits humains et du travail». Lorsque des Etats interviennent pour protéger paysans et travailleurs, dit-elle, «des millions de vies peuvent être transformées».

Dominique Martin

Septembre 2018