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Nadia aventurière du Moyen Ouest

_MG_6549 BDcopieQuatorze heures sous le soleil brûlant. Panier sur la tête, tablier à carreaux jaunes et thermos à la main, Nadia arrive sur la place principale d’Ampasipotsy pour vendre quelques produits maison : tasses de café, galettes de riz, arachides, bananes, etc. En cette fin de saison sèche, ce petit commerce est sa principale activité. A l’ombre d’un toit de chaumes, elle raconte son incroyable aventure. Cette jeune femme au large sourire, Bertin son mari et leurs deux enfants font partie des tout premiers migrants venus ici construire leur village. Ils sont arrivés avec neuf autres familles il y a dix ans, le 4 août 1997, à l’issue d’un interminable voyage. Quatorze heures entassés dans un camion depuis Tana. Les derniers kilomètres sur la piste sont les plus longs, alternant pentes vertigineuses, tronçons défoncés et rivières à franchir. Pour passer, il faut recalibrer la piste à coups de pioche et tirer le camion embourbé à plusieurs reprises. Arrivés au pied de la colline de leur futur domaine, il n’y avait rien. Que de hautes herbes. Les trois premiers mois, les pionniers vivent sous des tentes prêtées par l’armée avant de construire de premières maisons en pisés. Celles-ci seront détruites un peu plus tard par les passages des cyclones. Pendant plus de trois ans, pour boire et se laver ils n’ont que l’eau de la rivière. A leur arrivée, la fille de Nadia et de Bertin est la plus jeune de tous. Le bébé n’a qu’un mois et tombe très vite malade. Il n’est pas le seul. Dès la saison humide, enfants et parents subissent les premières crises de paludisme, maladie endémique de la région. La nourriture manque et le Land Rover bâché de l’association ne tient pas longtemps à faire le ravitaillement. Pour ramener des provisions de Mahasolo, la commune la plus proche, il faut faire le parcours à pied, 35 kilomètres pour l’aller, autant pour le retour. La première année, les récoltes sont maigres : un peu de manioc et d’arachides. Les cultures de maïs et de légumes sont dévorées par les criquets. L’année suivante, ils dévastent 24 ha de riz, soit la quasi-totalité de la récolte.

 La vie a bien changé pour Nadia et sa famille installés aujourd’hui dans une maison en dur du village de Galgala. L’agricultrice nous entraîne dans son bas-fond par un sentier étroit en pente raide. Dans ce creux du relief, une source coule toute l’année. Nadia y cultive son riz de contre-saison et des légumes. Ce terrain d’alluvions mesure environ quatre-vingt ares. _MG_6556 BDcopieIl faisait partie de la dotation de 5 ha reçue lors de leur installation il y a dix ans. Le reste est constitué de terres de plateaux. Nadia et Bertin ont aménagé leur bas-fond en bassins disposés en escaliers et entourés de retenues de terre. Repiqué en août, le riz sera bon à récolter d’ici un mois. Nadia en attend trois charretées de paddy, soit environ une tonne et demi. De quoi faire nourrir sa famille sur un an. La grande récolte à suivre sera vendue. De décembre à février, il faudra repiquer le riz pluvial qui sera récolté en mai. Beaucoup de travail en perspective. Labourer avec les zébus n’est pas possible partout. Certaines zones trop marécageuses doivent être bêchées à la main. La famille ne suffit pas à la tâche. Elle doit embaucher des salariés pour le travail, payés 2 000 ariary par jour (un peu moins de un euro). Pour cela il faut produire, en dépensant le minimum. Depuis dix ans, aucun engrais ni produit chimique n’a été appliqué. Le sol de la partie haute de leur bas-fond commence à fatiguer. La solution, estime Nadia, serait de le ré-enrichir en y basculant de la terre prise au-dessus. Pour elle, il n’y a d’autre choix que d’aller de l’avant. Jacquot leur fils de 15 ans est au collège d’Ampasipotsy. Il veut être steward. Il devra fréquenter le lycée à Mahosolo ou Tsiroanomandity. Il faudra payer hébergement et études. Nadia et Bertin s’y préparent. Ils ont étendu l_MG_6550 BDcopieeur maison pour prendre en pension des élèves du collège. Ils ont fait prospérer la paire de zébus reçue à leur installation. Une tête a été vendue pour acheter une seconde rizière. Reste à l’aménager. Leur troupeau se résume à deux mâles pour le travail et une jeune vache pour le lait dont Nadia veut faire bénéficier ses enfants. Une idée fixe qu’elle aura mis des années à réaliser : la première femelle fut emportée dans une rivière un mois avant le vêlage, la seconde dut être abattue après s’être brisée la patte. Avec la même détermination, l’agricultrice veut développer son commerce. Elle vient de faire creuser des fosses en vue de planter une petite bananeraie. Un seul régime peut, selon elle, rapporter davantage qu’une de ses parcelles de riz. La culture est beaucoup moins gourmande en travail et le bananier retient l’humidité du sol. Et surtout Nadia pense qu’elle n’aura aucun mal à vendre ses fruits aux gens de passage. 

 Située 200 km à l’ouest de la capitale Antananarivo, Ampasipotsy est un havre de paix perdu dans l’immensité des hauts plateaux. Ecole, collège, dispensaire, église, ici l’ASA, une association malgache de réinsertion, a tout créé dans un bourg centre habité par une douzaine d’encadrants. Tout autour, des villages satellites ont essaimé. Les derniers-nés sont à plus de 20 km. Certains regroupent des familles de sans-abri reconverties à l’agriculture et installées par l’ASA. L’association a obtenu de l’état malgache le titre provisoire de propriété sur 15 000 ha. D’autres hameaux ont été construits par des paysans sans terres attirés sur ces espaces quasi vierges par le nouveau centre de développement. Ce secteur autrefois boisé est l’un des plus isolés de la région du Bongolava. Il n’est accessible que par le Nord, via une piste chaotique de 60 km où les populations se déplacent à pied et parfois en vélo.

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 Dix-sept heures, bientôt la nuit. Sur la place d’Ampasipotsy, Nadia n’a plus grand chose à vendre. Dans ce lieu devenu carrefour de passage, l’Asa voudrait développer un grand marché régional qui intensifierait les échanges et profiterait aux agriculteurs locaux. Le seul marché organisé à ce jour est celui du riz grâce au système créé par les producteurs de la zone réunis en groupement depuis deux ans. Le GPR auquel adhère Nadia compte six cent six membres réunis en quarante et une associations. Il gère trois greniers communautaires villageois. Ce système de stockage évite de donner le profit au collecteur, explique l’agricultrice. Au moment de la grande récolte de riz, en mai, les prix du paddy sont très bas, aux alentours de 400 ariary le kilo. En octobre, le riz commence à manquer et les prix grimpent pour atteindre facilement 600 ariary (2). «Si je gardais le riz chez moi, je serais toujours tentée de le vendre à vil prix car nous avons toujours besoin de quelque chose. En comparant les balances, j’ai vu aussi que le collecteur nous volait sur le poids.» Le grain confié en mai au grenier permet de bénéficier d’un crédit pour un montant équivalent. «Pour chaque kilo stocké et laissé en garantie, le producteur peut emprunter 400 ariary» explique Naivo, le superviseur des greniers. En octobre, pour récupérer son riz, il doit rembourser le même montant augmenté de 3 % de frais de stockage, soit environ 460 ariary. «S’il ne peut reprendre son riz, le GPR se charge de le vendre et lui remet le bénéfice moins un intérêt. Le résultat est toujours positif.» Le système se développe lentement. L’an dernier, 150 producteurs ont engrangé 70 T de paddy et de pois. «Le gens sont toujours tentés d’aller vers le collecteur, remarque Nadia. Il font face au quotidien puis sont obligés de racheter du riz en fin d’année.» Dans le commerce il coûte alors trois fois plus cher qu’il ne valait à la récolte.

© Dominique Martin – décembre 2007

Ce portrait est extrait du reportage visualisable ci-dessous